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Les aventures

naufrage contre cette Isle, qu’après avoir dérivé par une violence tempête, & après avoir été à quelques centaines de lieues loin de la course ordinaire du commerce des hommes, j’avois grande raison d’attribuer cet événement à un arrêt particulier de la Justice Divine, qui me condamnoit à terminer une triste vie dans un si triste sejour. Tandis que j’étois à faire ces réflexions, un torrent de larmes ruisseloit le long de mes joues ; quelquefois aussi je me plaignois à moi-même de ce que la Providence procurait ainsi la ruine entière de sa créature, & qu’elle pût tellement retirer son secours , appesantir sa main, & l’accabler enfin entièrement, qu’à peine la raison vouloit-elle qu’une telle vie méritât aucune reconnoissance.

Mais ces pensées étoient toujours contre-balancées par d’autres qui leur succédoient, & qui faisoient voir que j’avois tort. Un jour, entr’autres, me promenant le long de la mer, ayant mon fusil sous le bras, j’étois fort pensif au sujet de ma condition présente ; quand la raison, qui fait le pour & le contre, vint répliquer aux murmures qui m’étoient échappés : « Eh bien ! disois-je tout bas, je suis dans une misérable condition, il est vrai ; mais où sont mes compagnons ? N’étions-nous pas onze dans le bateau ? où sont les dix autres ? D’où vient qu’ils n’ont pas