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de Robinson Crusoé.

d’abominations. Mes chagrins & ma joie commençoient à changer d’objets : je concevois d’autres desirs & d’autres affections ; je faisois mes délices de choses toutes nouvelles, & différentes de celles qui m’auroient charmé au commencement de mon séjour dans l’Isle, pour ne pas dire depuis tout le tems que j’y étois.

Ci-devant, quand j’allois chasser, ou visiter la campagne, j’étois sujet à tomber dans des angoisses à la vue de ma condition, & à me pâmer subitement de douleur lorsque je considérois les forêts, les montagnes & les déserts, où, sans compagnon, & sans ressource, je me voyois renfermé par les barrières éternelles de l’Océan. Ces pensées me surprenoient souvent au milieu de mon plus grand calme : comme un orage, elles me jetoient dans le trouble & le désordre, me faisoient entrelacer mes mains l’une dans l’autre, & pleurer comme un enfant. Quelquefois ces mouvemens me prenoient au milieu de mon travail : alors je m’asseyois tout aussi-tôt, soupirant amèrement, les yeux attachés à la terre durant deux ou trois heures de suite. Et cela empiroit ma condition : car si j’avois pu lâcher la bonde à mes larmes, & exhaler ma douleur en paroles & en plaintes, j’aurois soulagé la nature en la déchargeant par-là d’un pesant fardeau.

Mais à cette heure mon esprit se repaissoit d’au-