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de Robinson Crusoé.

jouir dans ma solitude ; je n’avois jamais tant langui après la société des hommes, ni senti si vivement le malheur d’en être privé.

Il y a, dans nos passions, certaines sources secretes, qui vivifiées, pour ainsi dire, par des objets absens réellement, seulement présens à l’imagination, se répandent vers cet objet avec tant de force, que l’absence de devient la chose du monde la plus insupportable.

De cette nature-là étoient mes souhaits pour la conservation d’un seul de ces hommes. Je répétai mille fois de suite : Plût à Dieu qu’un seul fût échappé ! &, en prononçant ces mots, mes passions étoient si vives, que mes mains se joignoient avec une force terrible ; mes dents se serroient tellement dans ma bouche, que je fut un tems considérable avant de les pouvoir séparer.

Que les naturalistes expliquent de pareils phénomènes ; pour moi je me contente d’exposer le fait dont j’ai été surpris moi-même, & qui étoit sans doute causé par les fortes idées qui représentoient à mon imagination comme réelle & présente, la consolation que j’aurois tirée du commerce de quelque chrétien.

Mais ce n’étoit pas là le sort de ces malheureus, ni le mien, car jusqu’à la dernière année de mon séjour dans cette île, j’ai ignoré si quelqu’un s’étoit sauvé de ce naufrage. Quelques jours