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de Robinson Crusoé.

Mais de quelque côté que vînt le vent, ma résolution étoit de quitter cette horrible demeure, & d’abandonner le reste au destin.

Nous pêchâmes long-tems sans rien prendre ; car lorsque je sentois un poisson à mon hameçon, je n’avois garde de le tirer hors de l’eau, de peur que le maure ne le vît. Alors je lui dis : ceci ne vaut rien qui vaille : notre bon maître n’entend pas raillerie, il veut être bien servi ; il faut aller plus loin. Lui, qui n’entendoit point malice, opina de même, & étant allé à la proue, il alpestra les voiles. Moi qui étois au gouvernail, je conduisis le bateau près d’une lieue plus loin ; après quoi je fis amener[1], faisant mine de vouloir pêcher. Mais tout-à-coup laissant le timon au petit garçon, je m’avançai vers la proue, où le maure étoit, & faisant comme si je me baissois pour amasser quelque chose qui étoit derrière lui, je le saisis par surprise ; & lui passant les bras entre les deux cuisses, je le lançai tout net hors du bord dans la mer. D’abord il revint au-dessus de l’eau, car il nageoit comme un canard ; il m’appela, il me supplia de le recevoir à bord, protestant de me suivre d’un bout du monde à l’autre si je voulois. Il nageoit avec tant de vigueur derrière le bateau, qu’il m’alloit bientôt atteindre, parce qu’il ne

  1. C’est-à-dire, abattre la vergue, ou arrêter.