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Les aventures

mier étage de la bourgeoisie, que mon père m’avoit autrefois recommandé. N’aurois-je pas mieux fait de demeurer chez moi, & de m’épargner la peine de parcourir le monde ? Souvent je me tenois à moi-même ce langage : « je pouvois faire en Angleterre ce que je fais ici, travailler auprès de mes parens & de mes amis, aussi-bien que parmi des étrangers & des sauvages ; que me sert-il d’avoir traversé de vastes mers, d’avoir parcouru mil six cent & tant de lieues ? étoit-ce pour venir dans un désert affreux, & si reculé, que je fusse obligé de rompre tout commerce avec les parties du monde où je suis tant soit peu connu ? »

De cette manière je ne réfléchissois guères sur ma condition, que pour m’en affliger. Il n’y avoit que ce voisin avec qui je conversois de tems en tems ; nul ouvrage ne se pouvoit faire que par le travail de mes mains ; & j’avois coutume de dire que je vivois comme un homme qui auroit fait naufrage contre une Isle déserte, & qui s’en verroit le seul habitant. Mais quand les hommes sont assez injustes pour comparer leur état présent à un autre qui est plus mauvais, n’est-il pas bien juste que la providence les condamne à faire un échange dans la suite, pour les convainces de leur félicité passée par leur propre expérience ? & ne méritois-je pas bien que je fusse un jour ce