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L’HYSTÉRIQUE
(FRAGMENT)




L’événement s’étouffa dans une fin de carême saintement occupée, le nettoyage des âmes ayant été suivi de près du nettoyage des maisons. Pendant toute la durée du samedi, le Béguinage entier retentit d’un grincement ininterrompu de balais écurant les trottoirs et les corridors : partout, l’eau jetée à pleins seaux entraînait les poussières anciennes, s’étendait en mares, donnait aux boiseries et aux pavements une fraîcheur de rajeunissement. On lava les carreaux, les portes, la rue, à grands bouillons de savonnée qui servirent en outre à décrasser les saintes et les saints de pierre dans leurs niches empoicrées des salissures de l’hiver. Les rideaux des fenêtres, roussis par les dégels, avaient été remplacés par des guipures fleurant le bain récent ; et quelques béguines aisées avaient fait échauder le plafond de leurs chambres. Toutes se remuaient en de fiévreuses allées et venues, les manches retroussées jusqu’au coude, un pan de leurs jupes pileuses passé dans la ceinture, avec l’affairement de cette grosse besogne annuelle par laquelle elles fêtaient à leur manière la renaissance de l’Église. Et à mesure que s’avançait l’heure, le travail redoublait, la rumeur grandissait, le gémissement des pompes s’activait ; la silencieuse retraite faisait à elle seule plus de bruit que la ville tout entière. Des fers à polir s’imprimaient avec des coups sourds sur les guimpes nouvellement lessivées ; les vantaux brusquement repoussés claquaient sur la profondeur des bahuts ; on entendait, brandiller et carillonner en tous sens les sonnettes frottées à l’émeri ; et les vaisselles tintaient, bouchonnées furieusement. D’un bout à l’autre des ruelles, bruyaient la bourrée des sabots battant le pavé, le flic flac des vieilles semelles glissant sur les dalles, un piétinement qui dégringolait les escaliers, bredi-breda par les chambres, emplissait les petites maisons de la cave au grenier. Une rage de propreté s’était emparée des bonnes femmes, qui, exténuées, les ongles écornés, la peau crevassée de gerçures, ne sentaient plus la fatigue et constamment repassaient la brosse et le torchon