Page:Anthologie contemporaine, Première série, 1887.djvu/191

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Puis, les encensoirs furent passés au blanc d’Espagne, une peau de chamois caressa les ciselures du calice en vermeil, et des verdures roulées dans du marc de café rendirent à la pourpre fanée du tapis du chœur leur sombre rutilance primitive. De temps à autre, les trois béguines, lassées, s’asseyaient, leurs chapelets tournant entre leurs doigts, puis réconfortées par la prière, se remettaient à la toilette du temple, concentrant dans cette sévère occupation toutes les coquetteries abolies en elles. Il leur paraissait que chaque coup du plumeau dissipait un peu plus les ombres funèbres dans lesquelles la maison de Dieu avait été plongée, et leur forte foi simple sentait revenir, au bout de leur patient nettoyage, la bienheureuse présence de Jésus ressuscité. Une sourde vanité se mêlait, d’ailleurs, à leur zèle pieux : tout en pensant au plaisir du divin hôte rentrant dans sa demeure et y trouvant les choses en bel ordre, elles jouissaient aussi de la pensée que leur église serait plus belle que les autres ; et secrètement, elles s’avouaient que si, par fortune exceptionnelle, le curé les complimentait, une parole de lui les payerait et au delà, de leurs fatigues. Lorsqu’enfin elles quittèrent l’église, le soir livide effaçait sur les dalles la rouge réverbération des vitraux, et les piliers, comme une estacade battue des eaux, lentement s’engloutissaient dans le flux crépusculaire.

Le Béguinage s’éveilla de bonne heure. Un pâle soleil, comme un symbole de vie renaissante, glissait à travers les rideaux, éclairant la gaieté des chambres et le rose animé des visages, rassérénés après les desséchantes tristesses de la Sainte-Quarantaine. Sur les seuils, les saints de pierre, grelottant encore des humidités de la veille qui, sous la gelée blanche de la nuit, s’étaient converties en chandelles diamantées, dégouttaient lentement au rayon matinal. Et un bien-être universel, la détente d’une longue oppression flottaient dans la mansuétude de ce commencement de journée, caressant comme si la nature s’associait à la réconciliation du ciel avec la terre. Des voix s’échappaient des huis, en bourdonnements de paroles ailées, montaient dans l’air parfumé d’une odeur de bouillon gras qui signalait le retour des anciennes gourmandises, le besoin d’une discrète bombance au sortir d’un jeûne rigoureux. Celles qui possédaient des relations dans la ville avaient reçu dès la veille des provisions de fête, de la tarte et des fruits, des pâtisseries sèches, quelques-unes des poulets et des quartiers de viande ; et sur les fourneaux, malgré l’heure matinale, mitonnait une