Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/156

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voulut s’agenouiller, mais son ventre l’en empêcha, et elle sanglota doucement.

— Entends-tu, Nastia, lui disait Séméon à voix basse, ne te penche pas : il t’arriverait quelque chose ; retourne plutôt dans ta chambre : tu as assez prié.

— Mais comment ne pas prier pour lui ? répondit Nastia d’une voix chantante et assez haut pour que tout le monde pût l’entendre ; ce n’était pas un homme, mais un ange de Dieu. Aujourd’hui même, au moment de mourir, il pensait encore à moi : il a ordonné à Sophie Franzovna de ne pas me quitter.

Nastasia disait vrai ou à peu près. Toute la nuit précédente, ma femme était restée près de mon lit, sans cesser de pleurer, ce qui me fatiguait horriblement ; le matin, de bonne heure, pour dériver ses pensées et surtout pour vérifier si la parole m’était encore possible, j’avais fait une question la première venue : « Est-ce que Nastasia est accouchée ? » Ma femme, très heureuse que je puisse encore parler, me demanda s’il fallait envoyer chercher Sophie Franzovna, la sage-femme. Je répondis : « Oui, envoie… » Je crois bien qu’ensuite je n’ai absolument plus rien dit, et Nastasia crut naïvement que mes dernières pensées étaient pour elle.