Page:Audiat - Un poète abbé, Jacques Delille, 1738-1813.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gnole. Modeste d’ailleurs, inoffensif, aimé de tous, il pouvait passer inaperçu ; il se gardait bien du reste d’attirer sur lui l’attention.

Marmontel le calomnie quand il dit :


L’abbé Delille avec son air enfant
Sera toujours du parti triomphant.


Il plia sous l’orage et baissa la tête. Il aurait pu répondre comme Sieyès à la question : « Qu’avez-vous fait pendant la terreur. » — « J’ai vécu. » D’autre part on a vanté son courage. Invité à composer un chant pour la fête de l’Être Suprême, le poète fit ce magnifique dithyrambe sur l’immortalité de l’âme, où il eut l’audace de mettre en parallèle les tyrans sanguinaires et leurs victimes :


Ô vous qui de l’Olympe usurpez le tonnerre,
Des éternelles lois renversez les autels,
Lâches oppresseurs de la terre,
Tremblez ; vous êtes immortels.
Vous, du malheur victimes passagères,
Sur qui veillent d’un Dieu les regards paternels,
Voyageurs d’un moment aux rives étrangères,
Consolez-vous ; vous êtes immortels.


Quand il lut ces strophes au comité, le président, c’était Chaumette, effrayé de tant d’audace, lui dit que l’heure n’était pas venue de les publier ; on l’avertirait du moment opportun ; ce moment ne vint pas.

Sainte-Beuve, qui ne croit pas à cet accès d’héroïsme, fait remarquer que les deux meilleures stances du poème avaient été lues par Delille au collège de France et même imprimées dès 1776 : « et ne purent être une inspiration de la terreur ». On a parlé d’une arrestation et d’une comparution devant le tribunal révolutionnaire ; d’où probablement, comme tant d’autres, il ne serait pas revenu. Amené devant le comité de sa section, il trouva un défenseur dans un maçon, membre du comité, qui s’écria : « Il ne faut pas tuer tous les poètes, mais en garder au moins quelques uns pour chanter