Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/209

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Pendant l’automne de 1813, je partis de Henderson où j’habitais, sur les bords de l’Ohio, me dirigeant vers Louisville. En traversant les landes qu’on trouve à quelques milles au delà de Hardensbourg, je remarquai des pigeons qui volaient du nord-est vers le sud-ouest en si grand nombre, que je n’avais jamais rien vu de pareil. Voulant compter les troupes qui pourraient passer à portée de mes regards dans l’espace d’une heure, je descendis de cheval, m’assis sur une éminence, et commençai à faire avec mon crayon un point à chaque troupe que j’apercevais. Mais bientôt je reconnus qu’une pareille entreprise était impraticable, car les oiseaux se pressaient en innombrables multitudes. Je me levai, comptai les points qui étaient sur mon album ; il y en avait 163 de marqués en vingt et une minutes ! Je continuai ma route, et plus j’avançais, plus je rencontrais de pigeons. L’air en était littéralement rempli ; la lumière du jour, en plein midi, s’en trouvait obscurcie comme par une éclipse ; la fiente tombait semblable aux flocons d’une neige fondante, et le bourdonnement continu des ailes m’étourdissait et me donnait envie de dormir.

Je m’arrêtai, pour dîner, à l’hôtel de Young, au confluent de la rivière Salée avec l’Ohio ; et de là, je pus voir à loisir d’immenses légions passant toujours sur un front qui s’étendait bien au delà de l’Ohio, dans l’ouest, et des forêts de hêtres qu’on découvre directement à l’est. Pas un seul oiseau ne se posa, car on ne voyait ni un gland ni une noix dans le voisinage. Aussi volaient-ils si haut, qu’on essayait vainement de les