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LE FUGITIF.


Jamais je n’oublierai l’impression produite sur mon esprit par la rencontre qui fait le sujet de cet article, et je ne doute pas que la relation que j’en vais donner n’excite dans celui de mon lecteur des émotions de plus d’un genre.

C’était dans l’après-midi d’une de ces journées étouffantes où l’atmosphère des marécages de la Louisiane se charge d’émanations délétères ; il se faisait tard, et je regagnais ma maison encore éloignée, ployant sous la charge de cinq ou six ibis des bois, et de mon lourd fusil dont le poids, même en ce temps où mes forces étaient encore entières, m’empêchait d’avancer bien rapidement. J’arrivai sur les bords d’un bayou qui n’avait guère que quelques pas de large ; mais ses eaux étaient si bourbeuses, que je n’en pouvais distinguer la profondeur, et je ne jugeai pas prudent de m’y aventurer avec mon fardeau. En conséquence, saisissant chacun de mes gros oiseaux, je les lançai l’un après l’autre sur la rive opposée, puis mon fusil, ma poire à poudre et mon carnier ; et tirant du fourreau mon couteau de chasse pour me défendre, s’il en était besoin, contre les alligators, j’entrai dans l’eau, suivi de mon chien fidèle. Je marchais avec précaution et lentement.