Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/258

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marchant à quatre pieds ; mais il allait toujours devant moi, écartant de côté et d’autre les tiges entrelacées ; et chaque fois que nous rencontrions quelque tronc d’arbre, il m’aidait à passer par-dessus avec le plus grand soin. À sa manière de connaître les bois, je fus bientôt convaincu que j’avais affaire à un véritable Indien ; car il se dirigeait aussi juste en droite ligne qu’aucun Peau rouge avec lequel j’eusse jamais fait route.

Tout à coup il poussa un cri fort et perçant, assez semblable à celui d’un hibou ; et j’en fus tellement surpris, qu’à l’instant même mon fusil se releva. « Ce n’est rien, maître, je donne seulement le signal de mon retour à ma femme et à mes enfants. » Une réponse du même genre, mais tremblante et plus douce, nous revint bientôt, prolongée entre les cimes des arbres. Les lèvres du fugitif s’entr’ouvrirent avec une expression de joie et d’amour ; l’éclatante rangée de ses dents d’ivoire semblait envoyer un sourire à travers l’obscurité du soir qui s’épaississait autour de nous. « Maître, me dit-il, ma femme, bien que noire, est aussi belle, pour moi, que la femme du président l’est à ses yeux ; c’est ma reine, et je regarde mes enfants comme autant de princes. Mais vous allez les voir, car ils ne sont pas loin, Dieu merci ! »

Là, au beau milieu du champ de cannes, je trouvai un camp régulier. On avait allumé un petit feu, et sur les braises grillaient quelques larges tranches de venaison. Un garçon de neuf à dix ans soufflait les cendres qui recouvraient des pommes de terre de bonne mine ; divers articles de ménage étaient disposés soigneuse-