Page:Audubon - Scènes de la nature, traduction Bazin, 1868, tome 1.djvu/334

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que dans les circonstances actuelles il m’était important d’en avoir, je le laissai, courus à son bateau et en rapportai le gouvernail, le banc et les rames, que j’eus bientôt mis en pièces avec ma hachette. Puis je donnai un coup de briquet, et nous nous trouvâmes éclairés par la lumière d’un feu brillant. Le pirate semblait combattu entre la terreur et sa reconnaissance pour mes bons soins. Plusieurs fois, dans un jargon moitié anglais, moitié espagnol, il me pria d’éteindre le feu ; mais après que je lui eus fait avaler une gorgée d’un fort cordial, il finit par devenir plus tranquille. J’essayai d’étancher le sang qui coulait des larges plaies béantes à ses épaules et à son flanc, lui exprimant le regret de n’avoir rien pour lui donner à manger ; mais au mot de nourriture, il branla la tête.

Ma position, je le répète, était l’une des plus extraordinaires où je me fusse jamais trouvé. Naturellement mes paroles se tournèrent vers des sujets religieux ; mais hélas ! le mourant croyait à peine à l’existence d’un Dieu. — Ami, me dit-il, car tu me sembles ami, je n’ai jamais étudié les voies de celui dont tu me parles ; je suis un Out-Law[1] ; peut-être diras-tu bientôt un misérable ; et depuis longues années je n’ai eu d’autre métier que celui de pirate. Les instructions de mes parents furent perdues pour moi ; j’étais né, je l’ai toujours cru, pour faire un homme féroce. Me voilà maintenant gisant et près d’expirer sur ce tas de mau-

  1. Out-law. Hors la loi.