Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/109

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ment l’humanité présente a tout oublié, nous ne feindrons pas de nous ressouvenir, mais nous irons chercher les certitudes perdues à leur source éternelle, dans la nature.

Par là, et jusque dans ce qui semble, au premier regard, les séparer des gothiques irréconciliablement, les impressionnistes sont, peut-on dire, eux-mêmes des gothiques, à leur date. Ceux du XIIIe siècle avaient demandé à la nature les moyens d’exprimer la pensée qui était le principe et la raison de leur art ; ceux du XIXe siècle cherchèrent le principe et la raison de leur art dans cette même nature, guidés par un infaillible instinct.

Car il serait injuste de leur prêter le projet court et chimérique de donner un double au réel spectacle de l’univers. De tels artistes, dont le talent n’est pas en discussion, avaient, nul doute, de plus vastes désirs. Même si la joie de leurs yeux laissait un peu languir l’activité de leur esprit, c’est à satisfaire l’esprit, fût-ce au delà d’eux-mêmes et au bénéfice d’une autre génération, que tendait, en dernière analyse, leur effort. Si le culte qu’ils rendaient à la nature était, en quelque manière, un peu immédiat et tout physique, de ce point de vue présent et matériel ils n’en concevaient pas moins dans son immensité le spectacle de l’univers. Ils représentaient l’esprit moderne dans une attitude momentanée et nécessaire, l’attitude d’un esclave qui sera le père d’un conquérant. Leur amour passionnément humble de la nature était, donc, tout de même de l’amour, c’est-à-dire le désir de la possession.

Un poète, qu’on n’a pas l’habitude de considérer comme un profond penseur parce qu’il s’est plu à parler sans insistance, Théodore de Banville, a merveilleusement exprimé cet état d’âme de l’homme moderne, réunissant toutes les forces de son génie dans l’étude de la nature et se persuadant qu’un long jour de splendeur et de foi sera sa récompense :

« Ce n’est plus un duel courtois, c’est un combat sérieux qu’il doit soutenir contre l’Isis éternelle ; il ne veut plus seulement soulever ses voiles, il veut les déchirer, les anéantir à jamais, et, privé de ses Dieux évanouis, posséder du moins l’immuable Nature, car il sent que ces Dieux renaîtront d’elle et de nouveau peupleront les solitudes du vaste azur et les jardins mystérieux où fleurissent les étoiles. »

Il n’appartient à personne d’oser avancer, dans leur silence, que les artistes dont nous parlons aient eu ces vues mystiques et lointaines. Mais le sensualisme