Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sut se ménager des bénéfices plus précieux que celui du salaire. Mais il y put aussi mesurer les périls de l’habileté, voir combien il importe à l’artiste véritable d’en conjurer les séductions, de réserver contre elles les droits du goût et ce qu’il y a de légitime dans les exigences d’une pure sensualité.

Le Goût ! Il faut entendre Rodin prononcer ce mot. De quelle dévotion l’accompagnent l’intonation, le regard, le sourire ! Le goût et la mesure, ces vertus grecques et françaises qui sont les conditions de la force et de la grâce, nul mieux que lui n’en sait le prix, car nul ne les possède plus consciemment. Elles éclairent son culte de la nature, et c’est par elles que sa sensualité se rehausse de tant de bravoure et de tendresse à la fois, — cette sensualité valeureuse ! Chez un tel artiste la jouissance voluptueuse de la beauté passe de si loin ce que la plupart des hommes entendent par le mot sensualité qu’entre leur notion et la sienne il n’y a, vraiment, rien de commun. La justesse des proportions et l’équilibre des volumes harmonieusement balancés, la solidité des plans, la richesse des lumières et des ombres, la logique des rapports qui constituent le caractère d’une figure, dans la vie comme dans l’art, et son adaptation à son but, voilà, pour lui, les conditions de la volupté. Devant un chef-d’œuvre de la statuaire ou de la peinture, comme devant un bel être vivant, ou un beau paysage, c’est vraiment le langage de l’amour que son admiration parle, le langage de la gratitude extasiée. — Mais, ne venons-nous pas de le dire ? ce langage de l’amour, c’est proprement la science, cette science de l’art, que le jeune artiste était allé chercher auprès de deux grands maîtres de son temps, Carpeaux et Barye, les deux grands amoureux de la nature. Rodin possédait l’instinct de ce langage, de cette science ; c’est en cédant aux exigences d’un goût toujours plus délicat, d’une sensualité toujours plus vaillante, qu’il s’est élevé à la conception d’un art toujours plus puissant et plus doux : dans les chefs-d’œuvre, c’est surtout leur douceur qu’il se plaît à louer. Cette douceur est le signe de la force ; elle comporte une simplicité à laquelle les modernes atteignent rarement ; elle n’est pas incompatible avec les expressions les plus graves et même les plus tragiques, pourvu qu’elles restent simples et grandes, car il n’y a pas de douceur dans les complications inutiles non plus que dans les lignes sèches, pauvres et dures, auxquelles se réduisent, par un inévitable aveu, les petites pensées des petites âmes. — C’est la douceur qui manque le plus aux œuvres de la moderne statuaire.

De bonne heure l’ « étudiant éternel » — car il pourrait faire sienne cette