Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/23

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Cette disgrâce a naturellement procédé d’une réaction symétrique et contraire à la lente élaboration qui, du passé obscur, avait abouti aux magnificences du XIIIe siècle français et chrétien. Mais le mouvement qui précipita la décadence de l’art gothique fut incomparablement plus rapide que le mouvement de son ascension. Celle-ci se prépara, se détermina, s’accomplit en dix siècles environ ; cent ans suffisent à la chute. — Il est vrai que, si l’on recherchait les origines de la Renaissance, il faudrait remonter, pour en retrouver les premiers symptômes, jusque dans le haut moyen âge.

Les faits, dans le conflit qu’ils présentent au regard rétrospectif, n’en apparaissent pas moins tels : à peine la fécondité créatrice de l’art gothique paraissait-elle s’être épuisée, un idéal contraire au sien s’empara des esprits, un idéal à la fois bien plus vieux que le sien et très nouveau, l’idéal grec, rafraîchi et faussé par les Humanistes.

Je ne dis pas que la Renaissance a tué l’art gothique. Nous verrons de quoi cet art a péri et qu’il était atteint déjà quand la Renaissance formula sa pensée ou du moins quand elle donna les premières preuves de sa vitalité. Mais il devint antipathique et incompréhensible aux hommes que gouvernait l’esprit individualiste de la Renaissance. Leur cœur et leur esprit étaient également fermés à la volonté collective et à la tendresse mystique desquelles procédait la grande Cathédrale. Longtemps encore, toutefois, dans l’évolution de la Renaissance elle-même et jusqu’en plein XVIIIe siècle, à l’insu de tous, la tradition gothique, survivant à la production gothique, gardera dans l’art une influence profonde. C’est un courant presque insensible, qui s’appauvrit, mais qui ne tarira pas, afin que les générations puissent y revenir un jour, peut-être, élargir son lit, y retrouver l’essence du génie national et les éléments d’une Autre Renaissance. Il ne compte pas, en attendant ; durant près de trois siècles il ne comptera pas, et nous, qui pouvons aujourd’hui, à travers l’ombre qu’elle est devenue et grâce aux abondants travaux des savants, nous imaginer la Cathédrale dans sa splendeur d’il y a six cents ans, nous constatons avec une sorte de terreur l’oubli où elle dormit pendant ces trois

    lesquels s’accomplit la romanisation du génie français. Il va de soi que par ces mots nous ne visons point l’idéal classique dans son grand sens. Est classique, à nos yeux, toute œuvre belle où nous reconnaissons, à quelque date que ce soit, l’expression d’une race ou d’une nation. De ce point de vue, seul légitime, les Cathédrales romanes ou gothiques sont classiques aussi bien que les grandes œuvres littéraires du XVIIe siècle. C’est cet idéal arbitrairement réduit à ce siècle — point le plus élevé de la courbe qui commence avec les Humanistes et finit avec les Encyclopédistes — que désigne la pédagogie classique.