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Il y a partout de beaux restes, il y en a pour consoler encore quelques générations d’artistes.

Étudiez ces magnifiques débris. Si vous voulez les comprendre, allez les voir à des heures différentes. Ces œuvres, accomplies en plein air, changent de beauté selon que le temps change, et ces beautés varient sur un thème constant. Le soir vous révélera ce que le matin ne vous a pas laissé voir.

Ces œuvres se transforment comme de beaux visages féminins, où la même âme, qui ne peut pas tout dire la première fois, mais qui continue de parler aux différentes heures du jour, se manifeste avec tant de nuances !


Devant les Cathédrales je me sens soulevé, transporté par le sentiment de la Justice. Justesse plastique, image et correspondance de la justice morale.

Je pousse la porte : quelle ordonnance ! La pensée de la perfection s’impose à mon esprit. Quelles assises éternelles ! Et cette vertu de l’architecture, cette épaisseur que j’aime tant, qui manque à notre époque ! Solidité, profondeur qui survit aux siècles ! je respire cette force avec passion. — C’est l’épaisseur du temple de Pæstum, trapu dans le paysage comme le taureau dans la plaine, ou comme une phalange grecque ; c’est l’épaisseur antique. Dans le Gothique, elle s’étire et s’élance.

Au fond, le noir du Saint des Saints, la grande ligne de séparation qui monte au faîte, s’élève au point où la force retombe en s’appuyant sur l’autre chapiteau.

En bas, cette ligne sépare le chœur de la foule des assistants : rideau d’un théâtre auguste, où les gestes et les paroles sont antiques et se produisent dans des ténèbres antiques, où, seul, l’or d’une lampe suspendue reluit.

Mon esprit monte, suivant cette ligne, et retombe avec elle pour remonter. Les battements aussi de mon cœur la suivent, puis se rhythment aux arcatures qui palpitent tout en haut et tout au loin.

Grand silence, où l’on sent que des sages délibèrent en eux-mêmes.

Entre le prêtre ; repos, puis les chants.

Les femmes parfument l’église de leur beauté.