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gine sacrée », les voûtes gothiques figurant des feuillages, les contreforts imitant des troncs brisés, toute l’église retraçant « les labyrinthes des bois » ; et cette « forêt bâtie » gardant son murmure originel « au moyen de l’orgue et du bronze suspendu qui font les bruits des vents et du tonnerre ».

Cette vue, que la Cathédrale pût être inspirée de la forêt, fût la forêt bâtie, a paru étrangement ridicule aux demi-savants du temps de Louis-Philippe. Il convient de cesser d’en rire. Sinon d’une façon expresse, historiquement et scientifiquement, le grand poète a du moins, avec le droit sens du génie seul — puisqu’il n’avait pas daigné s’instruire — éveillé deux idées justes, depuis longtemps endormies.

Cette idée générale, d’abord, que l’architecte du monument religieux, dans tous les temps et dans tous les pays, a demandé à la nature le modèle comme la matière de son œuvre. L’analogie de l’arbre avec la colonne, du feuillage avec le chapiteau, du ciel avec la toiture, est si vraie, si essentielle, que tous les peuples l’ont tacitement consentie ; mais ils ne l’ont pas tous exprimée de même. Il est intéressant de comparer avec la pensée de Chateaubriand, sur ce point, celle d’un écrivain, notre contemporain, poète chrétien lui aussi, mais d’une orthodoxie plus ferme, plus strictement catholique que celle du maître des romantiques.

« Du profond bois sacré », écrit M. Paul Claudel[1], « de la haute futaie primitive telle que celle qui au Japon encore ombrage les cabanes sacrées de Nikko, le défrichement peu à peu a aminci le voile jusqu’à cette rangée unique, à cette colonnade régulière qui des temples classiques enclôt le sanctuaire maçonné. Car, depuis le Paradis, et comme Jonas au jour de la pénitence de Ninive, comme Élie dans sa douleur, l’homme toujours a eu pour gardien de sa prière et pour protecteur de ses eaux l’arbre, qui pousse et, végétation de l’unité, est l’expression de l’Attente dans le témoignage ; assis, agenouillé sous l’ombre. Mais cependant que le païen, impuissant à maîtriser l’arcane, en recherchait les ténèbres obreptices pour y cacher ses poupées, l’Église chrétienne a absorbé le bois mystique, adaptant intérieurement à la congrégation humaine ses avenues et son chœur. »

Ne reconnaît-on pas, développée et précisée, la suggestion un peu vague du Génie du Christianisme ? M. Paul Claudel l’élargit et la définit à la fois, en montrant l’impérieuse emprise de la doctrine chrétienne sur les forces et les formes de la nature : selon son enseignement même, elle retrouve en elles le principe qui, au

  1. Développement de l’Église (dans l’ouvrage intitulé : Art poétique).