Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/26

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commencement, les créa, elle le redéduit d’elles, en quelque sorte, puis, en vertu de ce principe dont elle est l’expression vivante, elle les revivifie et leur confère leur signification suprême en s’unissant à elles ; elle les absorbe.

Chateaubriand s’en tient à une interprétation plus lâche. Mais il a ce grand mérite de proclamer, le premier, que cette architecture gothique, reniée et bafouée depuis le XVIe siècle par tous les beaux esprits, chrétiens ou « libertins », unanimement, s’inspirait, comme l’architecture grecque elle-même, de l’ordre naturel. Il retrouve dans cette inspiration universelle l’universelle tradition et donne par là, bien plus clairement, au point de vue de l’art, que Rousseau n’avait fait, le double signal du recours à la nature et du retour aux principes.

Il fait plus et, dans cette idée générale, il rencontre — sans peut-être l’y discerner bien nettement lui-même — une idée particulière qui sera chère à toute la jeune école archéologique de la fin du XIXe siècle, que Courajod, notamment, illustrera de son éloquent et lucide enthousiasme. Si ceux que Chateaubriand nomme, assez improprement, du reste, les Gaulois, ont imité par l’architecture et la sculpture le fût, la frondaison et la feuille du chêne, c’est donc qu’ils sont personnellement intervenus dans leur œuvre : ils ont directement regardé la nature et ils l’ont traduite selon leur vision et selon les moyens dont ils disposaient. Il y a, dans cette œuvre, un plan, une volonté, et il y a une originalité. Il n’est donc pas permis de dire, comme pourtant on le répétera bien après Chateaubriand et bien souvent, que « le genre de bâtisse auquel on donne le nom de gothique »[1], dans sa structure, est inspiré « par le seul caprice » ; dans son ornementation, « n’est qu’une dégénération de l’ornement antique, tradition confuse et transposition incohérente des trois ordres grecs, où les feuilles du corinthien, les volutes de l’ionique, les tores du dorique se trouvent compilés sans intention, sans choix, et exécutés sans art ».

Mais, si les « Gaulois » ont demandé à l’Arbre leurs inspirations monumentales, n’ont-ils pas dû soumettre leur technique à la matière comme aux lignes de l’Arbre ? Ils furent des charpentiers avant d’être des tailleurs de pierres, dira quatre-vingts ans plus tard Courajod, et, tailleurs de pierres, ils restèrent des charpentiers : à l’école de l’art romain, qu’ils connurent bien plus tard, ils apportèrent des préférences et des habitudes de travail qui leur étaient propres, et la ner-

  1. Quatremère de Quincy, Dictionnaire historique d’architecture.