Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/27

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vure des troncs d’arbres persistera toujours dans la nervure des colonnes gothiques.

On le voit, la page de Chateaubriand, si souvent citée, mais presque toujours accompagnée d’irrespectueuses critiques, n’est point dénuée de sens, en dépit de quelque excès de pittoresque. On peut regretter que les romantiques ne se soient pas tenus à ces vues très simples et, par leur simplicité même, très voisines de la vérité. Ils exagérèrent encore l’interprétation pittoresque et y mêlèrent des préoccupations sociales qui sont bien étrangères à l’art du moyen âge. Ils « s’éprirent, il est vrai, de la Cathédrale, mais seulement à cause de l’énormité de sa silhouette sous un rayon de lune ; ils ne se doutaient pas de la sévérité de son établissement[1] ».

Ils ne se doutaient pas davantage de l’exacte conformité de ces édifices à la nature de la race et du sol qui les produisirent. Ils les admiraient pour des motifs singulièrement contraires aux raisons de leur beauté, attribuant un caractère fantaisiste et exceptionnel à ces produits de la plus rigoureuse logique, de la plus impérieuse nécessité. L’art du moyen âge est devenu un « texte de phrases creuses pour ces rêveurs, amateurs de poésie nébuleuse, qui ne voient qu’ogives élancées vers le ciel, dentelles de pierre, sculpture mystérieuse ou fantastique, dans des monuments où tout est méthodique, raisonné, clair, ordonné et précis, où tout a sa place marquée d’avance[2] ». La Cathédrale est un syllogisme. Le syllogisme n’a rien de capricieux ni de mélodramatique. Les romantiques ont goûté une joie malsaine ou puérile à cultiver en eux le sentiment d’une imaginaire épouvante devant ces murs sévères et sous ces voûtes sombres ; ils n’ont vu dans le moyen âge qu’un drame écrit avec du sang sur de la nuit. Il y a autre chose.

Le Génie du Christianisme (1802) marquerait donc, dans l’histoire de l’art gothique, la date du réveil de la vérité, plutôt que de l’insistance de l’erreur. Même la sympathie des romantiques, si faiblement ou faussement fondée qu’elle fût, manifestait une réaction contre l’esprit d’injustice qui avait animé tout le XVIIIe siècle, tout le XVIIe — à bien peu d’exceptions près — et déjà une partie du XVIe.

Du théologien Molanus qui, dans son Traité des saintes Images (XVIe siècle), montre, comme le dit M. Émile Mâle, « qu’il n’entre plus dans le génie des œuvres du passé », à Voltaire, qui préférait la façade de Saint-Gervais à celle de Notre-Dame, c’est, entre gens d’église et gens du siècle, la plus déconcertante

  1. Adrien Mithouard, Les Marches de l’Occident.
  2. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné d’Architecture.