Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/33

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Des premiers, il était allé à l’art de l’ogive. Ce mérite n’est pas mince d’avoir su résister à l’entraînement de l’opinion, d’avoir osé se séparer, publiquement, de ses plus notables collègues de l’Académie. Il faut d’autant plus en garder à Vitet de la gratitude qu’il ne se contenta pas de voir clair quand presque tous les yeux étaient fermés : son apport personnel à la science naissante fut très utile, et les archéologues tiennent encore compte, tout en les rectifiant en plus d’un point, de ses recherches sur Notre-Dame de Noyon, sur les monuments historiques du nord-ouest de la France, sur les mosaïques chrétiennes de Rome, etc.

Il avait entrepris, prématurément peut-être, un essai de classification chronologique de nos anciens monuments français. Cela était très hardi, et l’auteur ne se dissimulait pas les dangers de son initiative. Comment classer ce qui n’est pas ? Il n’y a ni classification ni science du néant.

« Que parlons-nous de science ? » se demandait Vitet lui-même avec une inquiétude qui n’était pas toute jouée. « Existe-t-il réellement une science en pareille matière ? Ne voyons-nous pas des hommes, qui passent à bon droit pour doctes et profonds, sourire de pitié à l’idée qu’on puisse découvrir une règle, une loi quelconque pour classer chronologiquement les monuments du moyen âge ? »

Non sans bravoure, il personnifie tous ces « hommes doctes » en l’illustre Quatremère de Quincy. Celui-ci, en effet, et le public l’en croit, « ne laisse échapper aucune occasion de proclamer que l’architecture du moyen âge n’est pas une architecture, que ce n’est pas un art, mais seulement une compilation, un composé d’éléments disparates et hétérogènes rassemblés par une fantaisie ignorante et désordonnée. Que si quelques monuments de ce temps ont néanmoins « un certain air de grandeur », rien ne prouve que cet effet soit le résultat de combinaisons savantes et réfléchies : « Les architectes du moyen âge, aussi bien ceux du XIIIe que ceux du IXe siècle, lors même qu’ils font de belles choses, ne savent pas ce qu’ils font : ils tâtonnent sans règle, sans méthode. Si par fortune ils rencontrent une heureuse disposition, ils sont hors d’état de la reproduire à coup sûr, soit dans un autre édifice, soit même dans les différentes parties du même monument. » Impossible « de découvrir dans cette soi-disant architecture la base, soit d’un système de proportion, soit d’un système de construction, soit d’un système d’ornementation, trois choses sans lesquelles une architecture n’existe pas ».

N’a-t-on pas quelque peine à croire que ces choses aient pu être pensées, écrites, signées par un homme du XIXe siècle ? Ce texte permet d’apprécier l’énor-