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VIII


LE MANS


Chaque fois que je reviens ici, il me semble que le commerce entre ces figures sublimes et mon admiration n’a pas été interrompu. Voilà vingt ans et plus qu’elles sont pour moi des amies. Les grands artistes qui les ont sculptées sont mes vrais maîtres. L’intensité de l’attention avec laquelle je les étudie me suggère parfois l’illusion que je vis en ces jours lointains où la pensée était simple, où les chefs-d’œuvre étaient les fleurs naturelles du travail.

Malgré mes années et ce siècle désorganisé, je reviens à vous, artistes patients, maîtres difficiles à comprendre, et ma situation auprès de vous est celle des figures que vous nous montrez accotées à la porte du ciel : leur attitude nous dit qu’elles croient et qu’elles espèrent ; moi je désire, j’attends avec confiance l’heure de la compréhension, et tous mes regards sont depuis longtemps tournés vers vous.

La part de vérité que vous m’avez révélée, je l’ai employée comme j’ai pu. Peut-être ai-je trahi votre pensée. On ne peut exprimer qu’à la condition de bien savoir, et il reste dans ces pierres tant de choses qui m’échappent encore ! Tous les principes sont là, toutes les lois générales ; mais c’est notre intelligence et notre cœur qui manquent, ou qui sont en défaut. Vous possédiez la vérité, Maitres, et, pour la retrouver, il faudrait plus d’une vie. Or, qui continuera mon effort, quand nos contemporains auront achevé de briser ces pierres ou de les effacer ?