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Tapisseries de Reims.

Ces admirables dessins, ces couleurs, réservées comme celles des fresques, cette touchante histoire de la Vierge, est-ce que tout cela ne met pas l’âme en fleur ? Et n’est-ce pas cet effet que l’artiste a voulu exprimer ? Tous les fonds et les intervalles sont remplis de fleurettes qui, sur la tapisserie, ne se rattachent à rien, — qu’à notre âme.

Ces tapisseries sont des œuvres d’un art suprême.

Et c’est à nous ! Les Égyptiens, les Grecs — du moins, je le crois — n’ont pas eu cela. Ce sont, tissés, des grains multicolores de poussière, la poussière de notre passé ! Et ce sont des fresques de primitifs, et des estampes japonaises, et des vases de Chine : tout y est pressenti.

Quel luxe ! et quelle sagesse dans le luxe !

Gris-argent rehaussé de bleu, de rouge, la tapisserie s’assortit pourtant à la pierre ; elle a la couleur de l’encens.

On n’a pas besoin de savoir quel est le sujet de la composition pour se rendre compte de sa beauté. Ici la Mesure règne ; c’est son empire, c’est son trône. — Mais les sujets aussi, par eux-mêmes, apportent un élément de beauté, dont le brodeur sait tirer admirablement parti :

C’est la présentation de Jésus à Siméon : les admirables draperies de la Vierge ! C’est l’adoration des Mages : quel relief, expressif de la majesté, dans ces figures royales ! C’est la fuite en Égypte, où la Vierge sur l’âne est accompagnée d’anges, gracieux tout autant que ceux d’un Botticelli. C’est le massacre des Innocents. Et ces compositions se divisent et se répartissent selon l’ordre d’une architecture pompéienne. On a le sentiment de feuilleter un livre d’heures, d’une splendeur incomparable. Des portraits en pied, parfaits, complètent ces Stanze d’un autre Vatican. Je revois le portrait du prophète, parlant aux foules : il affirme, il évangélise.

Un gris suave harmonise toutes ces tapisseries. À leur long séjour dans cette Cathédrale, qu’elles illuminent, elles doivent la teinte des siècles. Ce fil a l’âge de cette pierre. Et ce sont des collaborateurs au même ouvrage, ceux qui ont mis ici pierre sur pierre et point d’aiguille sur point d’aiguille. Le tissu et le minéral se rejoignent, s’unissent, se prolongent, amoureux l’un de l’autre.

Feuille morte, relevée de ton ; poussière de diamant ; nielles incrustées,