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LA CATHÉDRALE LA NUIT


I


Des lueurs lointaines rembrunissent, noircissent devant certaines colonnes. Elles en éclairent d’autres de biais, faiblement mais régulièrement.

Mais le fond du chœur et toute la partie gauche de la nef sont plongés dans des ténèbres épaisses. L’effet est horrible à cause de l’indécision des choses dans le lointain éclairé… Tout un espace carré est frappé d’un éclairage formidable ; des lumières flambent entre les colonnes qui prennent des proportions colossales. Et les interruptions, ces conflits de clartés et d’ombres, ces quatre colonnes opaques devant moi, ces six autres éclairées plus loin, sur la même ligne et en biais, puis la nuit où je baigne et qui submerge tout, me font douter du temps et des pays. Il n’y a pas de douceur. J’ai la sensation d’être dans un antre immense d’où va se lever Apollon.


Je reste bien longtemps sans pouvoir définir l’horrible vision. Je ne reconnais plus ma religion, ma cathédrale. C’est l’horreur des mystères antiques… Je le supposerais, du moins, si la symétrie des architectures ne me restait sensible. Les plafonnements ne sont qu’à peine perceptibles, étançonnés d’ombres : nervures des arcs.

Il faut que j’échappe à l’oppression de cet effet qui se referme. Un guide me prend la main et je me déplace dans cette nuit qui monte jusqu’à la voûte.

De la lumière au delà de ces cinq colonnes. Elles prennent le biais qui les éclaire. Les nervures, les arcs-doubleaux, les ogives semblent des drapeaux entre-croisés comme aux Invalides.

J’avance… Forêt magique. On ne voit plus le haut des cinq colonnes. Les lueurs, qui traversent horizontalement les balustrades, y mènent des rondes infernales. Le jour, on est au ciel, ici, et, la nuit, en enfer. Nous sommes descendus aux enfers comme Dante…

Violentes oppositions. Il y a comme un éclairage de torche. Feu ardent