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III


Ce qui m’émeut toujours le plus profondément, dans cette église, c’est le sentiment de sagesse qu’elle m’impose.

Chartres est sage avec une passion intense.

Tour de la force et du travail. Palais de la paix et du silence.

La grande voûte pâle d’ombre est soutenue, dans ses points de retombée, par les colonnes ; entre elles se fonce un noir dur, cru, destiné à la préserver en même temps de toute pesanteur et de toute mollesse.

C’est de paix héroïque qu’il s’agit, ici.

Et l’église tout entière est composée avec une telle science de l’harmonie que chacun des éléments de la composition donne à tous les autres un retentissement formidable. — Les contreforts, par exemple, c’est la beauté de l’opposition : contreforts trapus, filets élancés ; repos partout où il est possible pour favoriser l’effet suave de la floraison du haut et de l’agitation des assemblées qui sont aux portes.

Cette agitation elle-même garde une mesure, dictée par l’ordonnance du monument et par sa destination.

Ainsi, ce matin, une procession de jeunes filles m’a devancé. Il me semble que je vois respirer et se mouvoir les statues de la cathédrale. Elles sont descendues des murs pour s’agenouiller dans la nef. Quel air de parenté entre elles et ces enfants ! C’est du même sang. Les sculpteurs de Chartres avaient longuement observé les traits et la physionomie de leurs contemporaines, la contenance, l’allure de ces simples et belles créatures, dont les mouvements aisés, modestes, ont tant de style naturel ! Elles passent, discrètes, montrant peu de leur beauté, dans le mystère qu’exigent les rites, sans pouvoir néanmoins la cacher toute à l’artiste. Ces sculpteurs ont su la voir, ils l’ont étudiée, comprise, aimée. La nature qui, dans ses éléments essentiels, n’a pas varié, en dépit des siècles, du XIIIe au nôtre, nous atteste la sincérité de ces grands observateurs. Ils ont copié la douce nature du