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II. Période latine, mérovingienne et carolingienne. — Il est peut-être arbitraire de prétendre réunir en une seule période les longs siècles qui s’écoulèrent depuis le jour où fut construite la première église chrétienne jusqu’à l’avènement du style roman. Mais ces neuf siècles ont un caractère commun, qui est capital. Ils cherchent, ils tâtonnent, ils s’efforcent vers l’unité. Le monde chrétien ne connaîtra pas la paix qu’il n’ait acquis cette solidité dont s’enorgueillit la puissante cathédrale romane, et qui affirme, par une image, la présence de la certitude dans les esprits.

Ce n’est pas trop de tant d’années pour atteindre à ce grand résultat. Il ne paraîtra même pas que ce soit beaucoup si l’on songe que, dans le même temps où le christianisme « se cherchait » ainsi lui-même, les nations, profondément troublées par la chute de Rome, par le déplacement du centre impérial, par la désorientation des âmes qui résultait de l’inauguration d’une ère nouvelle, et par ces formidables mêlées de races que furent les Invasions, se cherchaient elles aussi. États, philosophies et sciences, langues et littératures, tout était épars, et à l’organisation de tout procédait, unique, la pensée chrétienne. Elle était le centre nécessaire d’où divergeait et où convergeait l’ordre. Et l’ordre exigeait que la première œuvre accomplie fût un signe sensible de cette pensée. Ce signe, la Cathédrale, fut donc le but de tous les efforts, de toutes les consciences, collectives et individuelles.

L’Église vient de triompher. Elle a désormais le droit de célébrer publiquement son culte ; bien plus encore : cette pensée politique, née de bonne heure dans l’esprit des pontifes de Rome, cet ambitieux dessein d’asservir l’État, et de n’accepter d’abord sa protection que dans l’intention de s’élever au-dessus de lui bientôt et de le protéger à son tour, va se réaliser. — Que fera l’Église, avant toutes choses ?

Sa doctrine est fixée depuis plus d’un siècle[1]. Elle va la répandre. Elle ne se contente pas d’user de ses droits nouveaux dans les contrées où elle est déjà moralement constituée. À peine libre, c’est la conquête de l’univers qu’elle entreprend, déléguant aux confins des provinces romaines, à la découverte des terres ignorées, des missionnaires, chargés d’évangéliser les peuples.

Mais partout, à Rome comme dans les pays barbares, c’est par ses rites

  1. « Il est certain qu’à la mort d’Antonin, vers l’an 160, la religion chrétienne est une religion complète ; elle a tous ses livres sacrés, toutes ses grandes légendes, le germe de tous ses dogmes, les parties essentielles de sa liturgie. » (Renan, Histoire des Origines du christianisme, Livre sixième.) — Or, l’édit de Milan, qui libère l’Église, est de 313.