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Beauvais.

En sortant de l’église je m’arrête sous le porche et, la tête levée et renversée, je regarde plafonner l’arc qui surmonte le tympan. Effet inattendu, intense. C’est le bouleversement de la création, et c’est le chaos ; et c’est aussi le Jugement Dernier. Avec les ornements qui dépassent l’arc, il semble que les architectures soient descellées : il y en a qui montent, il y en a qui tombent. Cela a la grandeur d’un cataclysme. Au bouleversement matériel des ordonnances s’ajoute celui de l’homme qui regarde, dans une attitude insolite, un peu de trois quarts, dans un profond trouble intérieur. Et cela reste beau ! — Impétueuse minute.


La Cathédrale de Chartres est, en ce moment, dans mon esprit et elle y rencontre cette Messe de Mozart où les sons divins affluent de toutes parts. Effets gracieux, innombrables lumières.

Et s’élèvent aussi les souvenirs de ma jeunesse ; je n’avais alors accès nulle part que gratuitement, et pourtant j’ai moissonné des milliers de pensées, — argent du ciel.


Devant la Cathédrale, la première impression est toute d’étonnement. L’esprit fait des efforts pour comprendre l’Autrefois et le pénétrer avec de nouveaux regards. Il fait appel aux conclusions qui généralisèrent ses études antérieures, et ainsi tente de s’approcher du sphinx.


Ces entre-croisements de forces !

En haut, les courbes, ces règles, ces palpitations de la pierre sur un ciel obscur où l’imagination cherche et entrevoit.

Ces sortes d’absides qui s’associent sur le trottoir, cet écroulement que j’admire, écroulement des temps, des Parthénons, plus ruines la nuit, plus avancés de deux siècles dans le désastre…


Le soleil vient dormir dans cette église, sur ces dalles, ces moulures, ces colonnes, sur cet ensemble qui appelle la vie et la retient à la portée de l’œil. Cette église abandonnée est comme ses épitaphes : elle vit dans la mort, son prolongement surplombe les siècles.