Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/61

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romanes, d’une part n’en explique pas tout le mérite, et d’autre part n’a sûrement pas attendu les révélations du moine Théophile pour épargner aux artistes de glorieux tâtonnements. Les miniatures, les ivoires, les mosaïques, les orfèvreries, où ils étaient parvenus, dès les temps carolingiens et même mérovingiens, à une grande virtuosité, avaient exercé, aiguisé les intelligences et les sensibilités, les avaient familiarisées avec les combinaisons des lignes et des couleurs. Il est clair que des œuvres comme les fresques de Saint-Sernin ne sauraient avoir pour auteurs des hommes, la veille encore, tout à fait ignorants ; entre de telles œuvres et l’ignorance il y a des générations de travailleurs. Mais, ce que les artistes n’avaient pu apprendre en ciselant des bijoux ou en illustrant des missels, c’est l’accommodation de la peinture aux impérieuses exigences de l’architecture. Mérite essentiel, car il n’est pas sans lui de décoration monumentale. Sa présence, évidente, témoigne irréfutablement d’un sens profond des grandes harmonies et d’une science très développée.

Quel enchantement ces grandes figures, ces compositions peintes, si amoureusement épousées par les lignes architecturales de l’église romane, devaient y apporter ! Ce tombeau était plein de vie. Ce n’est pas sans raisons que dans la langue courante d’alors — la langue mystique —- on désignait l’église, dès le seuil, de ce mot : le paradis. En y pénétrant n’est-ce pas au paradis, en effet, qu’on entrait, accueilli par les patriarches et les prophètes, conduit au sanctuaire par les saints et les saintes, par les martyrs glorifiés, bénit devant les autels par la Mère de Dieu, par Dieu même en ses trois personnes ? — La Mort qu’on célébrait dans cette église n’était pas l’ultima rerum linea, mais la première ligne du livre de vie. Et déjà on était là au lendemain de la mort : une lumière surnaturelle enlevait les esprits jusqu’à la vision d’une Jérusalem céleste, idéale et réelle.

Le vitrail, ce baptême de la lumière, ne permettait à personne de regretter la nature, l’air libre, les paysages, les jardins, les gloires et les grâces de la vie. Le vitrail donnait tout cela et donnait plus encore, colorant de clartés supraterrestres tout ce qu’il empruntait à la réalité : les plus admirables visages grâce à lui se transfiguraient, atteignaient à une beauté supérieure, qui les abandonnait au seuil du « paradis ».

Le temps et les hommes n’ont pas permis que la joie de ce prodigieux ensemble nous fût conservée. Nous ne le retrouverions aujourd’hui dans aucune de nos Cathédrales romanes. Les fresques ont été recouvertes ou s’effacent, les