Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/62

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vitraux se brisent ou ont été remplacés, les sculptures sont mutilées, les monuments tombent en ruines ; c’est l’œuvre des guerres de religion de 1562, des chapitres du XVIIIe siècle, de la Révolution de 1793, de la bande noire des premières années du XIXe, de nos conseillers municipaux actuels, et de huit cents ans. Il nous faut donc recourir à notre imagination, conseillée par la science, pour nous représenter cette merveille. Songez que les fresques devaient trouver à la fois l’harmonie de leurs lignes avec celles du monument et l’harmonie de leurs couleurs avec celles des vitraux. Tour de force, tour de génie, cent fois réalisé. Nous ne retrouverons pas cela dans les églises gothiques, où le plein du mur en s’effaçant exclut, peu s’en faut, la peinture, où l’art du vitrail lui-même subit une éclipse momentanée. Le style gothique est un miraculeux accord entre le génie de l’homme et celui de la nature à laquelle il ouvre et livre la Cathédrale ; le génie de l’homme a plus de part dans le style roman, et le génie de l’homme, ici, c’était le génie français.

Nous venons de dire tout ce que l’architecte roman et le peintre roman avaient ajouté aux traditions romaines et orientales. Le vitrail est à nous plus encore, il est à nous tout entier, né chez nous, sans précédents ailleurs. On croit le voir préluder, à Reims, de 969 à 988. À Saint-Denis — où naîtront aussi la sculpture monumentale et l’architecture gothique — il est, de 1140 à 1144, à son plus haut période. On a fait justice de la fausse doctrine qui nous le donnait pour une conquête des croisades. Rien ne pouvait, en Orient, l’inspirer, le faire même pressentir. Il produisit presque tout de suite, pendant la seule période romane, ses plus grands chefs-d’œuvre : à Chartres, avant 1158, et au Mans, à Poitiers, à Angers, à Châlons, sensiblement vers les mêmes dates. Plus tard, le peintre-verrier, en remplaçant par la forme en médaillons les barres de fer qui d’abord se coupaient à angles droits, donnera plus de clarté à sa composition, non pas plus de beauté. Les plus beaux vitraux sont les plus anciens. Si le dessin des personnages y reste archaïque, le dessin ornemental y montre une richesse, une grandeur qu’il ne tardera pas à perdre. Pour sa puissance de couleur et sa science de l’effet, l’artiste d’alors n’aura pas d’héritiers. On ne retrouvera plus ce bleu lumineux, si franc et si doux, si opulent, qui est la propre nuance de l’extase. On échappera, sans doute, à certaines imperfections matérielles, mais le génie décroîtra dans la proportion même, semble-t-il, où se perfectionnera la technique. Le verrier finira par méconnaître les caractères constitutifs de son art. Il fermera