Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/72

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leurs pieds. Mais ce caractère féminin a autant de force et de grandeur que de douceur ; il exalte, parmi les sentiments chrétiens, celui qui les somme tous, l’amour. « Jamais, écrit M. Émile Mâle[1], l’art n’a mieux exprimé qu’au XIIIe siècle l’essence du christianisme. Aucun docteur n’a dit plus clairement que les sculpteurs de Chartres, de Paris, d’Amiens, de Bourges, de Reims, que le secret de l’Évangile et son dernier mot, c’était la charité, l’amour. » Les architectes le disent aussi clairement que les sculpteurs, avec le langage plus symbolique de leur art plus spirituel. Les Cathédrales d’Amiens, de Chartres, du Mans, entre autres, sont vraiment des hymnes d’amour triomphant, aux strophes frémissantes d’allégresse et de gloire. L’architecture romane exprimait surtout les sentiments les plus graves de la conscience chrétienne ; art de concentration. Art d’expansion, l’architecture gothique exprimera surtout la bonté, la suavité, la joie même, tant qu’il restera fidèle à son principe, à sa logique propre ; et il n’est rien alors qu’on lui puisse préférer dans l’art du monde entier, pas plus les merveilles du style qu’il remplaça que celles de l’antiquité classique ou primitive. Il conserve, dans les audaces les plus vertigineuses de son lyrisme, une mesure, un sens des convenances, un culte des proportions, de l’ordre, qui font de notre XIIIe siècle l’une des plus grandes époques de l’histoire de la beauté. C’est, en vérité, ce siècle que le génie français apporte dans le concert des siècles sublimes, car il s’y est figuré tout entier. Génie idéaliste, métaphysique, épris d’abstraction, mais aussi profondément soucieux de la réalité ; pratique et pourtant prompt aux initiatives audacieuses ; raisonnant sur l’universel, ne parlant jamais qu’au nom de l’humanité générale ; très sensible, par conséquent très plastique ; infiniment tendre, prosternant volontiers sa force devant la faiblesse gracieuse, le génie de la chevalerie et de la galanterie ; mais infiniment pudique aussi et jetant sur les excès de sa tendresse un voile d’ironie, le génie des fabliaux et des farces ; ennemi de la manière, de la recherche, de l’artifice et dédaignant de spécifier son chiffre par quelque singularité voulue ; insouciant et sérieux, logique surtout, clair, possédant également dans la vie morale et dans l’art le sentiment juste de la vraie proportion des intérêts, qui sacrifie les affaires aux sentiments et les plus charmants détails aux rigoureuses exigences de l’ensemble, du plan : que de qualités, en apparence contradictoires, et qu’il était difficile de maintenir entre elles l’équilibre !

  1. L’Art religieux de la fin du moyen âge en France.