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III


MORT ET RÉSURRECTION DE LA CATHÉDRALE


La Cathédrale était-elle destinée à être achevée ?

Cette question, posée il y a cinquante ans par Saint-Yves d’Alveydre, parut saugrenue aux entrepreneurs de constructions. Elle est au moins déconcertante. Est-ce nécessairement dire qu’elle soit tout à fait déraisonnable ? N’y a-t-il pas quelque chose de très séduisant dans cette idée d’un plan d’œuvre si vaste et si simple que de longs siècles y pussent trouver l’emploi de leur activité !

Nous venons de citer le mot de Viollet-le-Duc ; sait-il bien toutefois comment la Cathédrale a été « projetée » ? Les habitudes d’un esprit rigoureusement spécialisé l’entraînent à conclure des lois de son art ou de sa science, telles qu’à sa date il les connaît, à une compréhension de ces lois et à des habitudes, techniques et pratiques, identiques aux siennes, en d’autres temps. Sans doute, une fois faite la trouvaille qui détermina le style gothique, la part de l’invention se trouva aussitôt fort réduite dans l’exécution de l’œuvre. Tout y devient un enchaînement méthodique de conséquences logiques. Il serait excessif, toutefois, de prétendre qu’au principe de cet enchaînement l’imagination ne tienne pas quelque place auprès de la raison. Quand le maître primitif de l’œuvre a des successeurs, son plan n’est pas toujours respecté.

La Cathédrale est un syllogisme, disions-nous. Mais ce mode de raisonnement, le plus solide qui soit, ne manque pas d’élasticité. Des Catacombes à la Cathédrale gothique, on peut dire que la majeure du syllogisme architectural n’a pas varié ; mais la mineure s’est constamment nuancée. Si le principe est que les chrétiens doivent honorer Dieu au-dessus de tout et se rapprocher de lui toujours davantage, les moyens dont ils disposent pour exprimer l’adoration se multiplient et se perfectionnent en suivant une ligne ascensionnelle qui, du premier élan au dernier terme, ne se dément jamais. Est-il logique de croire que, même parvenue à ce terme, la Cathédrale pût renoncer au mouvement initiateur et conducteur de sa vie ? Ne devait-elle pas vouloir se dresser encore plus haut ?