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gréco-romaine[1] » achèvera de l’orienter définitivement vers ce but, et c’en sera fait à jamais de l’art du moyen âge.

On le voit, il ne serait pas tout à fait juste de dire, avec Courajod, que « le retour de la société moderne à la civilisation romaine a tué l’art gothique » : ce retour a seulement consommé cette mort dont les causes profondes, nous y insistons une dernière fois, se confondent avec celles qui produisirent la Renaissance. La thèse chère à l’éloquent conservateur du Louvre n’en reçoit pas moins de ce fait historique une confirmation éclatante : il est clair que « l’art gothique ne venait pas de l’art romain », puisque, au réveil de celui-ci, celui-là recule et achève de s’endormir dans la mort.


Nous n’avons pas à entrer dans plus de détails sur l’histoire de cette mort. Nous n’excédions pas notre sujet en analysant la vie et les développements de la Cathédrale depuis sa naissance jusqu’à son triomphe. Il fallait bien définir, puisque nous protestons contre l’ingrat oubli où la merveille gothique était pour si longtemps tombée, l’objet de cet oubli. Il nous reste, maintenant, sans plus la suivre dans les péripéties de sa chute, à rappeler comment l’esprit moderne s’est peu à peu dégagé des erreurs entassées par trois siècles de pédagogie classique, pour atteindre aujourd’hui à la pleine vue de la vérité.

Nous ne reviendrons que d’un mot sur ce phénomène de l’oubli. Il fut absolu et presque immédiat. Dès la seconde moitié du XVIe siècle, personne en France ne comprend plus « l’art français ». L’injustifiable tyrannie du goût italien, au siècle suivant, la superstition antique pratiquement traduite par la fondation de l’École française de Rome, la latinisation officielle du pays, aggravent jusqu’au mépris cette incompréhension. On ira jusqu’à troubler l’ordonnance du style gothique en pratiquant des chapelles entre les contreforts de la nef de toutes nos Cathédrales (Reims et Chartres seules furent préservées), jusqu’à démolir les jubés, et des chapitres ordonneront la destruction d’admirables œuvres statuaires du XIIe et du XIIIe siècle : quelques-unes seront sauvées par miracle, comme le Jugement dernier de Saint-Lazare d’Autun, condamné par les chanoines. D’autre part, les jésuites désorienteront les églises et introduiront en France l’abominable faux-style qui reste marqué de leur nom, et le style régence, rocaille, rococo, fait les délices

  1. André Michel, Histoire de l’Art, tome II, 2e partie, Conclusion.