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viennent de retrouver leur patrie. Il y a du patriotisme, en effet, dans le sentiment qui les anime, et ce n’est pas ce qu’il y a de moins émouvant.

Nous sommes peut-être trop près encore des origines de ce mouvement, et peut-être trop éloignés encore de son aboutissement dans l’art vivant — car il exercera certainement sur la production artistique une action profonde et féconde — pour pouvoir le mesurer dans toute sa grandeur. Encore une fois, il serait téméraire d’attribuer à tel ou tel la première parole décisive, le geste initiateur. Ce geste s’est manifesté de toutes parts à la fois. Ce sont des efforts, en apparence désordonnés, en réalité dispersés seulement. Ils trahissent une sorte de consentement universel, qui doit obéir à l’autorité de communes raisons. Tous ces chercheurs étaient-ils dans la confidence de ces raisons ? Il se peut qu’en bien des cas l’instinct de la vérité ait devancé sa démonstration : n’est-ce pas ainsi que fut faite plus d’une des plus grandes découvertes ? Si la passion à laquelle l’instinct cède lui cache une part de la vérité, cette vérité, ne l’oublions pas, était tout entière ignorée avant que l’instinct parlât. S’il s’était tu, elle serait restée inconnue. Les archéologues du commencement du XIXe siècle ont, bien réellement, inauguré, non seulement dans le domaine de leur science propre, mais dans le domaine général de la pensée, dans l’histoire, dans tous les arts et dans la poésie même, une époque nouvelle. Ce sont de grands bienfaiteurs. Ils nous ont rendu un trésor sans prix, et dont nous ne nous doutions même plus, tant il y avait longtemps que nous en étions frustrés : notre passé, et les moyens de le comprendre, et le droit de l’admirer. On ne tardera plus à s’apercevoir qu’ils ont du même coup fait bien plus encore ; on datera de leur initiative le retour du génie français à lui-même : en nous rendant nos titres de gloire, ils nous ont rendu la confiance en nous.

Ils n’ont pas prévu toutes les conséquences de leur effort. Nous-mêmes, y a-t-il si longtemps que nous pouvons les apprécier ?

Pendant les trois quarts du XIXe siècle, les archéologues furent à peu près seuls à se douter de l’intérêt que l’étude du moyen âge, de ses monuments et de ses œuvres d’art réservait aux esprits modernes.

Nous avons montré combien fut superficiel, chez les poètes romantiques, le goût du médiéval. Il n’eut pas plus de profondeur chez les peintres romantiques. Peintres et poètes de ce temps-là, quel que fût leur génie, ne virent dans le moyen âge qu’un magasin d’accessoires point encore défraîchis, ils y puisèrent des élé-