Page:Auguste Rodin - Les cathedrales de France, 1914.djvu/98

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les transfuges qui, tournant le dos au moyen âge, essayèrent d’étudier les anciens maîtres. Heureusement, la civilisation moderne possède assez de grandes parties qui n’appartiennent qu’à elle seule, pour se consoler d’être condamnée, dans l’art, à une infériorité irréparable. Parce que les qualités de l’âge mûr excluent celles de la première jeunesse, ce n’est pas une raison pour regretter d’avoir échangé les dons brillants qui ne durent qu’un jour contre les solides avantages de la maturité. »

Il y a dans cette page autant d’erreurs, et nous n’avons pas à les réfuter après tout ce que nous avons dit, que de mots.

Mais un homme qui n’avait pas, contre l’art religieux, les préventions philosophiques de Renan, Brunetière, a dit ceci, qui est absurde : « Une cathédrale gothique n’a rien de plus français à Paris qu’à Cologne, ni de plus allemand à Cologne qu’à Cantorbéry[1]. » Les églises gothiques varient, même en France, de province à province, selon les écoles.

Et M. Faguet[2] écrit sérieusement : « Le moyen âge n’avait pas le sens de la nature. » Quand on pense que cela est dit à propos de ces XIIIe et XIVe siècles, où les artistes faisaient précisément, de la nature animale et végétale copiée avec le plus sincère réalisme, la parure des Cathédrales, on se demande comment une telle contre-vérité a pu trouver place dans un esprit renseigné.

Dans les arts comme dans les lettres, presque toutes les personnalités régulières, disciplinées, officielles, gardent, inconsciemment souvent, le pli de la pédagogie surannée. Si les architectes, notamment, admiraient les monuments gothiques, il est certain qu’ils n’accepteraient pas le mandat de les déshonorer en les restaurant d’après les principes de l’École.

Jusqu’à cette heure, en dehors du cercle restreint des archéologues, c’est parmi les poètes et les artistes indépendants, campés de l’autre côté de la loi académique, si nous osons dire, que l’art du moyen âge a rencontré la compréhension, l’admiration, l’enthousiasme. C’est ainsi que nous avons vu l’âme même du moyen âge se réveiller en l’un des moins officiels et des plus grands poètes du XIXe siècle finissant. On a comparé Verlaine à Villon. Mais l’auteur de Sagesse prend bien plus haut que le XVe siècle la date de son génie. Sagesse est proprement une Cathédrale gothique du XIIIe siècle. Le livre a les mêmes proportions que le

  1. Manuel d’histoire de la littérature française.
  2. Histoire de la littérature française.