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pas très absorbantes et il venait souvent à Highbury où il avait conservé une petite maison ; entre son travail et les distractions du monde, les dix-huit années qui suivirent s’écoulèrent agréablement pour lui. Au bout de ce temps sa fortune s’était suffisamment accrue pour lui permettre d’acheter une propriété assez importante, qu’il avait toujours désirée, et d’épouser une femme sans dot.

Mlle Taylor occupait, depuis plus de deux ans, une place prépondérante dans les projets de M. Weston, mais celui-ci n’étant plus sujet aux impulsions de la jeunesse avait résolu d’attendre pour se marier de s’être rendu acquéreur de Randalls, dont, à deux reprises, la vente avait été différée. Finalement toutes les conditions se trouvèrent remplies : il put acheter la maison et obtint sans difficulté la main de la femme qu’il aimait.

Il ne devait de compte à personne : Frank en effet, élevé tacitement comme l’héritier de son oncle, en était devenu de plus le fils adoptif et avait pris le nom de Churchill au moment de sa majorité ; il n’aurait, selon toute probabilité, jamais besoin de l’aide de son père.

M. Weston voyait son fils une fois par an à Londres et le portrait extrêmement flatteur qu’il en traçait à son retour avait gagné au jeune homme les suffrages des habitants d’Highbury. M. Frank Churchill était donc une des gloires du pays et l’objet de la curiosité générale, laquelle du reste n’était pas payée de retour, car il n’avait jamais paru à Highbury. Au moment du mariage de M. Weston, le jeune homme se contenta d’écrire à sa belle-mère. Pendant plusieurs jours, ce fut le thème favori des conversations à l’heure du thé chez Mme Bates et chez Mme Cole : « Vous avez certainement entendu parler de la belle lettre que M. Frank Churchill a adressée à Mme Weston ? »

Celle-ci, déjà prévenue en faveur du jeune homme, fut touchée de cette preuve de déférence qui venait fortifier ses légitimes espoirs de bonheur. Elle se considérait, en effet, comme très favorisée de la fortune, ayant assez d’expérience pour apprécier à leur valeur les avantages multiples de son mariage ; la séparation