Page:Austen - Emma.djvu/113

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l’écroulement de tous ses projets et surtout c’était pour Harriet un coup terrible. L’ensemble lui apportait tristesse et humiliation, mais ce n’était rien, en comparaison du mal qui en résultait pour Harriet ; elle se fut volontiers soumise à être convaincue plus encore d’erreur, de faux jugement, d’inconséquence, à condition que les effets de ses bévues eussent été concentrés sur elle-même : « Si je n’avais pas persuadé à Harriet de prendre cet homme en affection j’aurais subi cet affront sans me plaindre… Mais cette pauvre Harriet ! »

M. Elton avait affirmé n’avoir jamais pensé sérieusement à Harriet : jamais ! Elle chercha à se rappeler le passé, mais tout était confus dans son esprit ; elle était évidemment partie d’une idée préconçue et avait tout fait plier à son désir. Il fallait bien pourtant que les manières de M. Elton eussent été indécises, flottantes, douteuses pour qu’elle ait pu s’abuser à ce point. Le portrait ? Quel empressement il avait montré pour ce portrait ! Et la charade ? Et cent autres circonstances qui avaient paru désigner si clairement Harriet. Évidemment dans la charade il y avait une allusion à « l’esprit vif » mais il y en avait une aussi au « doux regard ». En réalité rien ne s’adaptait ni à l’une ni à l’autre : ce n’était qu’un pathos sans vérité et sans goût. Qui donc aurait pu voir clair à travers un tel tissu d’absurdités ?

Sans doute elle avait souvent jugé les manières de M. Elton inutilement galantes, mais ayant remarqué depuis longtemps qu’il ne possédait qu’un usage imparfait du monde, elle avait interprété cet empressement comme une manifestation de reconnaissance. C’était M. Jean Knightley qui, le premier, lui avait ouvert les yeux. Elle reconnaissait que les deux frères avaient fait preuve, dans toute cette affaire