Page:Austen - Emma.djvu/122

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apparût semblable à elle-même, elle eut soin de manifester de l’intérêt et de prendre part à la déception des Weston de la manière la plus convenable.

Emma fut la première à annoncer la nouvelle à M. Knightley ; elle lui fit part de l’indignation que lui inspirait la conduite des Churchill et se mit à vanter bien au delà de son sentiment tous les avantages que la venue de Frank Churchill aurait procurés à leur société restreinte du Surrey. Elle se trouva bientôt en désaccord, à son grand amusement, avec M. Knightley et s’aperçut qu’elle soutenait précisément la contre-partie de sa véritable opinion, se préparant à se servir des arguments que M. Weston avait employés contre elle-même.

— Je ne doute pas que les Churchill ne soient dans le tort, dit M. Knightley, « mais je pense néanmoins que si le jeune homme voulait, il pourrait venir ».

— Je ne sais pourquoi vous parlez ainsi : il a le plus grand désir de faire cette visite mais son oncle et sa tante ne veulent pas se priver de lui.

— C’est bien improbable ; il faudrait que j’eusse la preuve de cette opposition pour excuser le neveu.

— Qu’est-ce que M. Frank Churchill vous a donc fait pour que vous lui supposiez des sentiments aussi dénaturés ?

— Je le soupçonne seulement d’avoir appris à se croire au-dessus de ses parents, et de ne penser qu’à son propre plaisir. Il est naturel qu’un jeune homme élevé par des gens qui sont fiers, orgueilleux et égoïstes, se soit formé à leur image. Si Frank Churchill avait désiré voir son père il se serait arrangé à le faire entre le mois de septembre et le mois de janvier. Un homme de son âge – vingt-trois ou vingt-quatre ans, n’est-ce pas ? – trouve toujours moyen d’arriver à ses fins lorsqu’elles sont aussi légitimes.

— C’est facile à dire ; c’est bien la manière de voir d’un homme qui a toujours été son maître. Vous n’êtes pas à même, M. Knightley, de mesurer les inconvénients de la dépendance ; vous ne savez pas ce que c’est d’avoir à ménager les gens.

— Il est impossible d’imaginer qu’un homme de vingt-quatre ans soit à ce point privé de sa liberté physique et morale ; ce n’est pas l’argent qui lui manque ni le loisir ; nous savons au