Page:Austen - Emma.djvu/195

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gagné une solide popularité. Elle savait que les Cole avaient été ravis et elle ne doutait pas d’avoir laissé derrière elle un sillage d’admiration.

Le bonheur parfait, même en imagination, est rare. Il y avait deux points sur lesquels Emma n’était pas parfaitement tranquille, elle craignait d’avoir transgressé les règles de la solidarité féminine en confiant ses soupçons sur les sentiments intimes de Jane Fairfax à Frank Churchill ; toutefois elle se sentait flattée d’avoir gagné si complètement le jeune homme à ses vues et le succès la portait à se montrer indulgente pour elle-même.

L’autre raison de remords avait aussi rapport à Mlle Fairfax ; et cette fois, il n’y avait pas d’hésitation : elle regrettait sincèrement l’infériorité de son propre jeu et de son chant ; elle s’assit et étudia pendant deux heures sérieusement.

Elle fut interrompue par l’arrivée d’Henriette, et si les éloges de cette dernière avaient pu la satisfaire, elle eût été tout à fait réconfortée.

— Oh ! si je pouvais jouer du piano comme vous et Mlle Fairfax !

— Ne nous mettez pas sur le même rang, Henriette ; mon jeu ne ressemble pas plus à celui de Jane Fairfax que la lumière d’une lampe à celle du soleil.

— Est-ce possible ? Il me semble, au contraire, que vous jouez mieux. Tout le monde hier soir admirait votre talent.

— Les gens compétents ont dû s’apercevoir de la différence. La vérité, Henriette, c’est que mon jeu est juste assez bon pour mériter d’être loué et que le sien est au-dessus de tout éloge.

M. Cole a dit que vous aviez tant de goût, M. Frank Churchill a également admiré votre style et il a ajouté qu’il mettait cette qualité bien au-dessus du mécanisme.

— Oui, mais Jane Fairfax possède les deux.