Page:Austen - Emma.djvu/27

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— Oui, dit-il en souriant, vous êtes plus à votre place ici. Vous vous prépariez, pendant votre séjour à Hartfield, à devenir une épouse modèle. Sans doute, vous n’avez peut-être pas donné à Emma une éducation aussi complète qu’auraient pu le faire supposer vos capacités ; mais, en revanche, vous appreniez d’elle à plier votre volonté pour la soumission conjugale ; si M. Weston m’avait consulté à la veille de prendre femme, je n’aurais pas manqué de lui indiquer Mlle Taylor.

— Merci. Il y aura, du reste, peu de mérite à être une femme dévouée avec un mari comme M. Weston.

— À dire vrai, je crains, en effet, que vous ne soyez pas appelée à donner la mesure de votre abnégation. Ne désespérons pas pourtant : Weston peut devenir grognon à force de bien-être ; son fils peut lui causer des ennuis.

— Je vous prie, monsieur Knightley, ne prévoyez pas de tourment de ce côté.

— Mes suppositions sont toutes gratuites. Je ne prétends pas aucunement avoir la clairvoyance d’Emma, ni son génie de prophétie. J’espère de tout mon cœur que le jeune homme tiendra des Weston pour le mérite et des Churchill pour la fortune ! Mais quant à Harriet Smith – je reviens à mes moutons ! – je persiste à la considérer comme tout à fait impropre à tenir auprès d’Emma le rôle d’amie : elle ne sait rien et considère Emma comme omnisciente ! Toute sa manière d’être, à son insu, respire la flatterie. Comment Emma pourrait-elle imaginer avoir quelque chose, à apprendre elle-même, lorsqu’à ses côtés Harriet apparaît si délicieusement inférieure ! D’autre part, Harriet ne tirera aucun avantage de cette liaison. Hartfield lui fera trouver désagréables tous les autres milieux où elle sera appelée à vivre ; elle deviendra juste assez raffinée pour ne plus être à l’aise avec ceux parmi lesquels la naissance et les circonstances l’ont placée. Je serais bien étonné si les doctrines d’Emma avaient pour résultat de former le caractère