Il la regarda en souriant et, ne recevant pas de réponse, il reprit :
— Elle ne devrait pas vous en vouloir, quand bien même il aurait, lui, des raisons de rancune ; je ne vous demande pas de me confier le secret d’un autre, mais avouez que vous désiriez lui faire épouser Henriette ?
— C’est vrai, dit Emma.
— Je ne vous gronderai pas, dit-il d’un air indulgent ; je vous laisse à vos propres réflexions.
— Ne vous fiez pas à mon sens critique ! Je me suis complètement trompée sur le compte de M. Elton. Vous vous êtes, au contraire, montré très perspicace ; vous l’aviez jugé intéressé et vaniteux ; rien de plus exact. J’avais été amenée à la suite d’une série d’extraordinaires malentendus, à m’imaginer qu’il était amoureux d’Henriette.
— Pour vous récompenser de reconnaître vos torts, je veux vous rendre justice : vous aviez mieux choisi pour lui qu’il ne l’a fait lui-même. Henriette Smith a des qualités de premier ordre qui font totalement défaut à Mme Elton : c’est une jeune fille simple, sincère, droite que tout homme de bon sens et de goût préférerait à une femme du genre de Mme Elton. Je ne m’attendais pas à trouver la conversation d’Henriette si agréable.
Emma fut extrêmement flattée de ce jugement porté sur son amie ; elle s’apprêtait à répondre mais ils furent interrompus par M. Weston : celui-ci organisait la reprise des danses.
— Allons, dit-il, Mademoiselle Woodhouse, Mademoiselle Otway, Mademoiselle Fairfax, à quoi pensez-vous ? Venez Emma donner l’exemple. Tout le monde est paresseux, tout le monde dort.
— Je suis prête à accomplir mon devoir, repartit Emma, si j’en trouve l’occasion toutefois !
— Avec qui allez-vous danser ? demanda M. Knightley.
— Avec vous, si vous m’invitez.
— Voulez-vous ? dit-il en lui offrant la main.
— Je crois bien. Vous avez fait vos preuves et nous ne sommes pas suffisamment frère et sœur pour qu’il nous soit interdit de danser ensemble.
— Frère et sœur ! Mais pas du tout.