Page:Austen - Emma.djvu/324

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aucune critique à formuler ; d’autre part, en ce qui concerne Frank, je ne suis pas inquiète de mes confidences !

À ce moment, M. Weston fit son apparition à peu de distance de la fenêtre, guettant évidemment l’instant de rentrer. Sa femme l’appela d’un signe et, pendant qu’il faisait le tour de la maison, elle ajouta :

— Maintenant, ma chère Emma, laissez-moi vous prier d’avoir l’air et de vous dire satisfaite, afin de le tranquilliser tout à fait et de le disposer à approuver ce mariage. Sans doute, ce n’est pas une alliance brillante ; mais, du moment que M. Churchill s’en contente, nous n’avons aucune raison de nous montrer plus exigeants ! D’autre part, c’est une très heureuse circonstance pour Frank qu’il se soit épris d’une jeune fille d’un caractère si sérieux et d’un jugement si parfait ; telle est, du moins, l’opinion que j’avais toujours eue de Mlle Fairfax, et je suis disposée à lui conserver mon estime, malgré cet écart à la règle du devoir : en considération des difficultés de sa position sociale, je lui accorde des circonstances atténuantes.

— Vous avez raison, reprit Emma avec cœur. Si une femme peut être excusable de ne penser qu’à elle-même, c’est bien dans une situation de ce genre.

M. Weston s’approcha à ce moment et Emma l’accueillit d’un sourire en disant :

— C’est un joli tour que vous m’avez joué, sur ma parole ! Vous vouliez sans doute mettre ma curiosité à l’épreuve et exercer ma perspicacité. Mais vous m’avez vraiment effrayée : j’ai cru que vous aviez perdu au moins la moitié de votre fortune. Et voici que je découvre, au lieu d’un sujet de condoléance, matière à félicitations. Je vous fais mes compliments, Monsieur Weston, vous allez avoir pour bru une des plus ravissantes et des plus accomplies jeunes filles d’Angleterre.

Il jeta un regard à sa femme pour s’assurer que ce discours était sincère ; le résultat fut immédiat : son maintien et sa voix retrouvèrent leur vivacité accoutumée ; il prit la main d’Emma et la serra avec reconnaissance. Ils causèrent encore un peu de temps et en reconduisant Emma à Hartfield, M. Weston n’était pas loin d’envisager l’avenir de son fils sous le jour le plus favorable.

(À suivre.)