Page:Austen - Emma.djvu/40

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cette lutte intérieure avec impatience, mais non sans espoir. Finalement Harriet reprit avec quelque hésitation :

— Mlle Woodhouse, puisque vous ne voulez pas me donner votre opinion, il faut que je prenne une décision toute seule : je suis maintenant résolue… J’ai l’intention de refuser M. Martin. Croyez-vous que j’aie raison ?

— Tout à fait raison, ma bien chère Harriet ; vous faites précisément ce que vous deviez faire. Tant que vous étiez en suspens, j’ai gardé mon opinion pour moi, mais maintenant que vous êtes décidée, je m’empresse de vous approuver. Ma chère Harriet, vous me causez une vraie joie. Une des conséquences de votre mariage avec M. Martin eût été de vous séparer de moi. Je n’ai pas voulu vous le dire auparavant pour ne pas vous influencer ; je n’aurais pas pu rester en relations avec Mme Robert Martin d’Abbey Mill.

Harriet n’avait pas envisagé cette éventualité ; elle s’écria :

— C’est évident ! Je n’y avais jamais, réfléchi. Chère Mlle Woodhouse, pour aucune considération, je ne renoncerai au plaisir et à l’honneur de votre intimité.

— À coup sûr, Harriet, j’aurais eu un véritable chagrin de vous perdre, mais c’était inévitable. Vous vous seriez exclue de la bonne société et j’aurais été forcée de vous abandonner.

— Mon Dieu ! Comment aurais-je pu supporter cette séparation ! Je serais morte de chagrin de ne plus venir à Hartfield !

— Chère affectueuse créature ! Je ne puis vous imaginer exilée à Abbey Mill, réduite à la société de personnes vulgaires pour le reste de votre vie ! Je suis surprise que ce jeune homme se soit cru autorisé à vous demander en mariage. Il doit avoir une bonne opinion de lui-même.

— Je ne le crois pourtant pas vaniteux, répondit Harriet dont la conscience se révoltait devant un pareil parti pris. Il a un excellent naturel et je lui serai toujours reconnaissante. Évidemment de ce qu’il m’aime il ne s’ensuit pas que je doive partager ses sentiments. Je puis l’avouer : j’ai rencontré à Hartfield des personnes avec lesquelles indiscutablement il