Page:Austen - Emma.djvu/41

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ne supporte pas la comparaison. Je conserverai néanmoins une très bonne opinion de M. Martin et le souvenir de son affection ; mais quant à vous quitter, c’est à quoi je ne me résoudrai jamais…

— Merci, ma chère petite amie, nous ne nous séparerons pas. Une femme ne doit pas épouser un homme pour la seule raison qu’il est amoureux d’elle et capable d’écrire une lettre convenable !

— Oh ! non… et du reste sa lettre est bien courte !

Emma sentit le manque de goût de son amie, mais elle se garda bien de le relever et répondit :

— Certainement ; du reste, ses capacités épistolaires eussent été une bien maigre compensation à l’insuffisance de son éducation et de ses manières dont vous auriez eu à souffrir journellement.

— Une lettre, ce n’est rien, reprit Harriet ; l’important est d’être heureuse et de passer sa vie avec des amis agréables ; je suis bien décidée à le refuser ; mais comment vais-je m’y prendre ? Que dois-je dire ?

Emma lui assura que la réponse ne présentait aucune difficulté, et lui conseilla de s’y mettre immédiatement. Harriet acquiesça dans l’espoir d’être aidée. Tout en protestant de son absolu désintéressement, Emma intervint dans la rédaction de chaque phrase. À mesure qu’elle relisait la lettre pour y répondre, Harriet se laissait attendrir et avait grand besoin d’être encouragée ; elle se montra si préoccupée à l’idée de rendre M. Martin malheureux, si affectée du contre-coup qui allait atteindre la mère et les sœurs, elle manifesta tant d’appréhension à l’idée de paraître ingrate qu’Emma se rendit compte que si le jeune homme avait pu plaider lui-même sa cause, il aurait sans doute été agréé.

Cependant, la lettre fut écrite, cachetée et envoyée : Harriet était sauvée ! Emma ne s’étonna pas que son amie fût un peu déprimée pendant la soirée et s’efforça de la distraire tantôt en lui parlant de sa propre affection, tantôt en évoquant l’idée de M. Elton.

— Je ne serai jamais plus invitée à Abbey Mill, dit Harriet d’un air triste.