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çaient

à tomber ; il était facile de prévoir qu’avant peu la terre aurait revêtu un manteau blanc.

Emma s’aperçut bientôt que son compagnon n’était pas d’une humeur sereine ; l’obligation de s’habiller, de sortir par un temps pareil, la privation de ses enfants après dîner constituaient une série de dérangements que M. Jean Knightley supportait mal volontiers. Il supposait que cette visite ne lui procurerait pas un agrément en rapport avec les ennuis qu’elle lui avait occasionnés et il ne cessa, durant le trajet d’Hartfield au presbytère, d’exprimer son mécontentement.

— Il faut, dit-il, qu’un homme ait une bien bonne opinion de lui-même pour inviter les gens à quitter le coin de leur feu et à affronter un temps pareil, pour le plaisir de le venir voir. Quelle présomption ! Et quelle folie de se soumettre à ce désir tyrannique. Si par devoir ou par nécessité professionnelle nous étions contraints de sortir par une soirée de ce genre, nous nous trouverions à plaindre à juste titre : pourtant nous voici, vêtus sans doute plus légèrement que de coutume, qui nous mettons en route, de notre plein gré, pour aller passer cinq heures dans la maison d’un étranger avec la perspective de ne rien dire et de ne rien entendre que nous n’ayons dit ou entendu hier, que nous ne puissions dire ou entendre demain. Le temps est déjà mauvais, il sera pire au retour. Quatre chevaux et quatre domestiques mis en branle pour transposer cinq personnages transis dans des chambres plus froides que celles qu’ils quittent !

Emma ne se sentit pas le courage d’approuver cette diatribe et de trouver une variante au « c’est parfaitement juste, mon chéri » avec lequel la compagne habituelle de M. Jean Knightley accueillait invariablement ce genre