Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu/548

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Ma mère, honnête cantinière,
Revint, en pleurant son époux,
Au pays où, dans sa chaumière,
Cinq enfants priaient Dieu pour vous.

— Peut-être est-elle sans ressource,
Dit-il ému ; tiens, prends ceci ;
Pour ta mère, prends cette bourse :
C’est peu ; mais je suis pauvre aussi.
Je baise la main qu’il me livre :
— Non, sire, gardez ce trésor.
Nous, toujours nos bras nous font vivre ;
Pour vos besoins gardez cet or.

Il sourit, me force à le prendre ;
Puis du doigt m’indique avec soin
Comment au port il faut descendre,
Et des gardes me tenir loin.
— Ah ! sire, que n’ai-je des armes !
Mais il s’éloigne soucieux,
Et longtemps, à travers mes larmes,
Je reste à le suivre des yeux.

Je rejoins sans mésaventure
Le vaisseau, qui déjà partait.
Le capitaine, à ma figure,
Devina ce qui m’agitait.
— Tu l’as vu, se prend-il à dire ;
C’est bien. Tu prouves qu’aujourd’hui,
Plus que les grands de son empire,
Le peuple a souvenir de lui.

M’enviant un bonheur semblable,
Tout l’équipage m’admirait,
Et le capitaine à sa table
M’admit le quinze août, moi, pauvret.
Combien je pris terre avec joie !
Sûr de dire, en rentrant chez nous :
Mère, de l’or qu’il vous envoie
L’empereur s’est privé pour vous.

Avec plus de ferveur encore
Elle va prier Dieu pour lui,
Sachant quel climat le dévore,
Sachant ses maux et son ennui.
Six mois de plus d’un tel martyre,
Et peut-être sur ce coteau
Bientôt reviendrai-je vous dire :
Il n’est plus ; j’ai vu son tombeau.

Geoffroy se tait ; et du village
Femmes et filles tout d’abord,
L’œil en pleurs, vantent son courage
Et du captif plaignent le sort.
Les hommes sont émus comme elles :
— Honneur, répètent-ils entre eux,
À qui nous donne des nouvelles
Du grand empereur malheureux !