Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu/655

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Bientôt après, plainte nouvelle.
— Bonhomme, où ta blessure est-elle ?
— Las ! il me faut encor pleurer :
Mon vieux père vient d’expirer.
— Cours ! dans ce bois on tente un crime :
Arrache aux brigands leur victime ;
Et perds en route, grain à grain,
Le noir chapelet du chagrin.

Bientôt après, peine plus grande.
— Bonhomme, les maux vont par bande.
— Las ! j’ai bien sujet de pleurer :
Ma compagne vient d’expirer.
— Vois-tu le feu prendre au village ?
Cours l’éteindre par ton courage ;
Et perds en route, grain à grain,
Le noir chapelet du chagrin.

Bientôt après, douleur extrême.
— Bonhomme, on rejoint ce qu’on aime.
— Laissez-moi, laissez-moi pleurer :
Las ! ma fille vient d’expirer.
Cours au fleuve : un enfant s’y noie.
D’une mère sauve la joie ;
Et perds en route, grain à grain,
Le noir chapelet du chagrin.

Plus tard enfin, douleur inerte.
— Bonhomme, est-ce quelque autre perte ?
— Je suis vieux et n’ai qu’à pleurer :
Las ! je sens ma force expirer.
— Va réchauffer une mésange
Qui meurt de froid devant ta grange ;
Et perds en route, grain à grain,
Le noir chapelet du chagrin.

Le bonhomme enfin de sourire,
Et son oracle de lui dire :
— Heureux qui m’a pour conducteur !
Je suis l’ange consolateur.
C’est la Charité qu’on me nomme.
Va donc prêcher ma loi, bonhomme,
Pour qu’il ne reste plus un grain
Au noir chapelet du chagrin.