Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/108

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nullement de lui même. Il sembloit n’avoir remporté de ses études qu’une connoissance plus grande de son ignorance. Tous les avantages qu’il avoit eus aux yeux de tout le monde, et qu’on publioit comme des prodiges, ne se réduisoient selon lui, qu’à des doutes, à des embarras, et à des peines d’esprit. Les lauriers dont ses maîtres l’avoient couronné pour le distinguer du reste de ses compagnons, ne lui parurent que des épines. Pour ne pas démentir le jugement des connoisseurs de ces têms-là, il faut convenir qu’il avoit mérité, tout jeune qu’il étoit, le rang que tout le monde lui donnoit parmi les habiles gens de son têms. Mais jamais il ne fut plus dangereux de prodiguer la qualité de sçavant . Car il ne se contenta pas de rejetter cette qualité qu’on lui avoit donnée : mais voulant juger des autres par lui même, peu s’en fallut qu’il ne prît pour de faux sçavans ceux qui portoient la même qualité, et qu’il ne fit éclater son mépris pour tout ce que les hommes appellent sciences.

Le déplaisir de se voir désabusé par lui-même de l’erreur dans laquelle il s’étoit flaté de pouvoir acquerir par ses études une connoissance claire et assurée de tout ce qui est utile à la vie, pensa le jetter dans le desespoir. Voiant d’ailleurs que son siécle étoit aussi florissant qu’aucun des précédens, et s’imaginant que tous les bons esprits dont ce siécle étoit assez fertile, étoient dans le même cas que lui, sans qu’ils s’en apperçeussent peut-être tous comme lui, il fut tenté de croire qu’il n’y avoit aucune sçience dans le monde qui fût telle qu’on lui avoit fait esperer.

Le résultat de toutes ses fâcheuses délibérations fut, qu’il renonça aux livres dés l’an 1613, et qu’il se défit entiérement de l’étude des lettres. Par cette espéce d’abandon, il sembloit imiter la plûpart des jeunes gens de qualité, qui n’ont pas besoin d’étude pour subsister, ou pour s’avancer dans le monde. Mais il y a cette différence, que ceux-cy en disant adieu aux livres ne songent qu’à secouër un joug que le collége leur avoit rendu insupportable : au lieu que M Descartes n’a congédié les livres pour lesquels il étoit trés-passionné d’ailleurs, que parce qu’il n’y trouvoit pas ce qu’il y cherchoit sur la foy de ceux qui l’avoient engagé à l’étude. Quoi qu’il se sentît trés-obligé aux soins de ses