Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/21

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aussi peu de temps une machine aussi compliquée qui a peut-être échappé aux mains de ceux qui se flattaient de la conduire. Pour l’humanité, quelle leçon de modestie ! Nous n’avons qu’une crainte : c’est que cette leçon ne soit perdue pour les prétendus reconstructeurs d’aujourd’hui, aussi légers, aussi orgueilleux que les destructeurs d’hier. En mettant tout au mieux, l’Europe emploiera des années à refaire ce qui a été défait en quelques mois. Et ce sera à la condition que l’Occident surveille sans cesse ces plaines de l’est d’où a toujours surgi l’anarchie, non moins barbare que les invasions.

Pour que la civilisation se maintienne au niveau que nous lui avons connu, quelle est la condition essentielle à remplir ? De toute évidence, qu’il y ait au moins autant d’écoles qu’il y en avait naguère : c’est pour avoir fondé, encouragé et visité des écoles que l’empereur Charlemagne est resté un des pères de la civilisation. Et pour qu’il y ait des écoles, des collèges, des universités, que faut-il ? Un budget de l’instruction publique abondant. Si l’État est pauvre, il faudra bien qu’il fasse des économies sur l’enseignement comme sur le reste. Ainsi l’un des progrès dont le monde moderne était le plus fier, l’enseignement universel, deviendrait problématique.

Toutes ces conséquences n’ont pas échappé aux plus pénétrants de nos contemporains. Parmi les hommes qui s’adressent au public, il faut distinguer deux catégories. Il y a ceux qui continuent de parler en disant des choses apprises, qu’ils ne renouvellent pas et qui finissent par n’avoir aucun sens. Ceux-là parlent toujours du progrès nécessaire et indéfini comme si rien ne s’était passé depuis 1914. Et il y a ceux qui regardent, qui observent, qui voient les causes et les effets et qui se demandent si, à l’idée de progrès, il ne faut pas substituer l’idée de régression.

Cette inquiétude, un romancier, M. Pierre Mille, l’a déjà traduite dans un conte philosophique qui contraste singulièrement avec les images du monde futur que l’on donnait couramment autrefois, que M. Anatole France lui-même avait données. On sait encore que M. Guglielmo Ferrero a transposé dans l’histoire ce souci nouveau.

Un des esprits les plus subtils de notre temps, un poète qui