Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/35

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caractère des peuples. Ces sortes de prédestinations sont purement imaginaires. L’Allemagne, l’Italie, ont prouvé depuis quarante ans que l’unité était dans leur nature autant que le particularisme. L’Italie a des limites aussi nettes que celles de l’Allemagne sont imprécises. Et cependant l’une et l’autre ont pareillement connu tour à tour le régime d’un gouvernement unique et le régime des innombrables souverainetés. C’est M. Ernest Lavisse qui en a fait la remarque : au dixième siècle, de tous les pays qui avaient formé l’héritage de Charlemagne, l’Allemagne semblait « le plus proche de l’unité ». Cette unité presque faite se défit. Elle était manquée définitivement un peu plus tard, et ses chances ne devaient plus reparaître que dans les temps modernes. À quoi a tenu cette destinée ? À quoi a tenu cet échec ? C’est encore M. Lavisse qui l’observe : l’Allemagne, aux temps de sa décadence, n’a pas trouvé « cette continuité dans l’action monarchique par laquelle d’autres pays furent constitués en États qui devinrent ensuite des nations ».

Tandis qu’en France la fonction royale arrivait à la plénitude de ses effets, la monarchie allemande se heurtait à toutes sortes de difficultés et d’obstacles. Nous avons entrevu les inimitiés qui, de bonne heure, s’étaient élevées contre elle au dehors. À l’intérieur, les adversaires qu’elle rencontra ne furent pas moins redoutables. L’hérédité avait pu s’établir sans peine dans la race de Hugues Capet qui ne portait encore ombrage à personne, qui était beaucoup moins puissante que maintes familles de grands feudataires. Mais la maison de Hohenstaufen, au moment où elle voulut s’affranchir des électeurs et de leur contrôle, ne pouvait se flatter de l’avantage de passer inaperçue. Déjà elle était redoutable. Elle était soupçonnée en Europe de viser à l’empire du monde, en Allemagne de viser au pouvoir absolu. Son éclat fit sa faiblesse. Ainsi arriva-t-il plus tard aux Habsbourg avec Charles-Quint et ses successeurs, tandis que les modestes marquis de Brandebourg n’éveillaient encore la méfiance que de quelques rares esprits à longue portée.

On comprend dès lors comment toute tentative de l’Empereur pour affranchir sa couronne de l’élection devait unir contre lui les divers éléments qui craignaient de voir s’élever en Allemagne un pouvoir fort. À l’intérieur, l’idée même de