Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/37

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des particularistes d’Allemagne pour conserver à l’Empire un caractère électif et républicain ? Le pape, entré de bonne heure en querelle avec l’Empereur, se trouvait par là en communauté d’intérêts avec le roi de France. Cette communauté d’intérêts devint assez vite communauté d’idées. « Tenir sous main les affaires d’Allemagne en la plus grande difficulté qu’on pourra », devait dire, trois siècles plus tard, un conseiller du roi Henri II. Cette maxime, Philippe Auguste se l’était déjà formulée à lui-même tandis qu’un pontife, doué du plus brillant génie diplomatique, composait, contre les menaces du pouvoir impérial, un plan de défense et d’attaque destiné, en dépit d’une erreur initiale, au succès…

L’alliance du roi de France et d’Innocent III ne résulta d’aucune idée préconçue. Les événements la déterminèrent. Dans ces siècles où l’on a pris l’habitude de voir le règne sans partage du mysticisme et la prédominance du sentiment, la politique avait plus de froideur, plus de calcul, moins de désintéressement qu’on ne pense. Ce fut seulement à la suite de plusieurs tentatives en sens divers que se rejoignirent la politique de Paris et la politique de Rome. Philippe Auguste, après avoir songé pour lui-même à la couronne impériale, soutint d’abord un candidat à l’Empire qui n’était pas celui du Pape. L’événement prouva que le roi de France avait eu raison de repousser cet Othon de Brunswick que le Saint-Siège réussit à faire élire. « Défiez-vous de cet homme, disait Philippe Auguste au Pape. Vous verrez comme il vous récompensera de ce que vous faites pour lui. » Le Capétien avait de sérieux motifs, en effet, de redouter qu’un neveu de Jean sans Terre, un allié de ses grands ennemis les Plantagenets, régnât en Allemagne. Il put se rassurer quand il vit Othon, ce qui ne tarda guère, rouvrir l’éternel conflit du Sacerdoce et de l’Empire, entrer en lutte avec la papauté, et, à peine couronné, envahir le patrimoine de saint Pierre. Alors Innocent III reconnut que Philippe Auguste avait eu raison, que le roi de France avait été bon prophète, et il réclama son assistance. Le Capétien était peu disposé à dégarnir son armée : il se contenta d’assurer la curie romaine qu’il était d’accord avec elle, et dès lors les deux diplomaties s’appuyèrent. Contre Othon excommunié, Rome et Paris eurent le même candidat à l’Empire : Frédéric, un Hohens-